Recalé
Le 6 janvier 2021
Selon un collège de scientifiques néerlandais, le simple fait de revoir le film de Paul Verhoeven suffirait à effacer le souvenir de son remake. Espérons juste que le box-office arrivera à s’en débarrasser aussi facilement.
- Réalisateur : Len Wiseman
- Acteurs : Jessica Biel, Kate Beckinsale, Bill Nighy, Colin Farrell, John Cho, Bryan Cranston, Bokeem Woodbine, Will Yun Lee
- Genre : Science-fiction, Aventures, Action, Nanar
- Nationalité : Américain, Canadien
- Distributeur : Sony Pictures Releasing France
- Durée : 2h01mn
- Date télé : 19 septembre 2024 21:00
- Chaîne : Paris Première
- Titre original : Total Recall
- Date de sortie : 15 août 2012
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Résumé : Modeste ouvrier, Douglas Quaid rêve de s’évader de sa vie frustrante. L’implantation de souvenirs que propose la société Rekall lui paraît l’échappatoire idéale. S’offrir des souvenirs d’agent secret serait parfait… Mais lorsque la procédure d’implantation tourne mal, Quaid se retrouve traqué par la police. Il ne peut plus faire confiance à personne, sauf peut-être à une inconnue qui travaille pour une mystérieuse résistance clandestine. Très vite, la frontière entre l’imagination et la réalité se brouille. Qui est réellement Quaid, et quel est son destin ?
Critique : On ne sait pas si elle nous écoute, mais on aimerait que la postérité de Phillip K. Dick aille porter plainte au plus vite. Déjà molestée par George Nolfi l’année dernière (L’agence, adaptation de Adjustment Team), la pauvre vient de tomber entre les pognes grossières de Len Underworld Wiseman, auteur d’un film qu’une certaine nomenclature linguistique nous interdit de classer dans la même catégorie que The Amazing Spiderman (qui est donc un reboot), mais qui mérite d’ores et déjà de figurer sur le podium paralympique des remakes les plus inutiles de l’année, voire de l’histoire du monde. Parce que remettre une adaptation de Judge Dredd sur les rails, passe encore, le comic le mérite et Danny Cannon l’avait expédiée avec l’œil dans la poche. Mais pourquoi Robert Rodriguez (chacun son diable) s’attaquer à un standard de l’adaptation de science-fiction ? Dont l’humanité se satisfaisait amplement jusque-là ? Vous imaginez Soulages débarquer à Florence pour goudronner un peu La naissance de Vénus ? Non, et bien nous non plus. D’autant plus que Wiseman (qui veut pourtant dire "homme sage") n’est pas Soulages, et qu’il a même oublié d’ajouter des mutants marrants à sa non-vision des choses. Chronique du désespoir hollywoodien :
Petite machine austère à l’image verdâtre, le néo Total Recall a réussi le prodige de recaler la planète Mars au casting de son portage (une simple mention y est faite), alors même que la sonde Curiosity vient de s’y poser. On peut y voir une des limites de l’opportunisme de Wiseman, ou le premier indice d’un désastre annoncé : l’obsession de l’ailleurs rouge - véhicule passionnel et incarnation vivace des souvenirs enterrés de Quaid - n’avait pourtant rien (chez K. Dick comme chez Verhoeven) d’une simple fantaisie spatio-exotique, qu’on la visite ou non. C’était un symbole, cher Len, mais les symboles peuvent en cacher un autre, et l’autre en question nous annonçait qu’on allait passer un sale moment en compagnie d’un film occupé à s’aligner vaguement sur la trame de son ancêtre tout en passant ses reliefs au karcher. D’ailleurs, en parlant d’alignement, quelqu’un peut-il nous expliquer sur quoi repose cette règle d’or de l’adaptation de K. Dick, qui exige qu’une mégalopole futuriste soit nécessairement verticale, multi-strates et partiellement asiatique ? Est-ce vraiment tout ce qu’on pouvait tirer de la vache à lait dystopique qu’est devenue l’œuvre du grand homme ? Aussi précise soit-elle sur l’allure de ses panoramas ? Parce qu’une fois arrivé au générique, l’impression d’avoir vu s’ébrouer gauchement la progéniture consanguine de Blade Runner, Minority Report et Deus Ex (oui, le jeu), est plutôt tenace. Heureusement, il ne suffit pas de braquer les grands pour être invité à leur table, et les barons en question doivent se réjouir, en voyant des Wiseman leur cavaler entre les pattes, d’avoir encore quelques beaux jours en stock.
Véritable lave-linge émotionnel autosatisfait par la taille de ses buildings et celle de son engin thématique, le film assainit étrangement la vision hallucinée du papa de RoboCop, à mesure qu’il décolorise sa photo, rivetant un pénible esprit de sérieux directement sur le front de ses acteurs et le fond de ses dialogues, tout en évacuant les toxines comiques susceptibles d’enrayer ses envie de grande œuvre respectable. Globalement, ce Total Recall ne déconne pas, ne met pas les coudes sur la table, et enlève ses bottes quand il faut fouler le plat : Farrell, venu en touriste, n’évolue évidemment pas à la même altitude que Schwarzy (à l’époque au sommet de la vague), on ne fantasme pas ouvertement, tout le monde est très compétent (surtout la fausse femme de Quaid, cyborg parmi les cyborgs), l’apparition contractuelle de la fille aux triples seins est tellement forcée qu’on aurait préféré ne pas voir ces poly-obusiers, et la clinique Rekall de 1990 - tenue par un VRP aussi scrupuleux qu’un directeur des programmes de la TNT - est ici remplacée par un bouge quasi clandestin, où l’implantation des souvenirs finit par ressembler à un banal deal d’opium. Si Wiseman cherchait à frayer avec la relative neutralité de ton de la nouvelle K. Dickienne, il fallait éviter de passer après Paulo le fou pour payer les factures d’Underworld 4. Où sont les mutants marrants ?
Parce que jusque là, on reste sur l’épiderme, dans le préliminaire, mais quand il s’agit de fouiller un peu la chair du sujet, c’est-à-dire celui de l’identité orpheline (prends ça Sigmund) et du principe de réalité jugé à l’aune du souvenir, ce Total Recall privilégie le silence au hors piste, cachant son absence de propos sous un tapis de menus questionnements interrompus par la première rafale venue (il en vient beaucoup), et une séquence aussi introspective que muette, qui nous montre un Colin Farrell certainement absorbé par le vertige de soi ou le ravitaillement de sa loge (attention, le Colin Farrell absorbé est quasiment impossible à différencier du Colin Farrell standard, ou du Colin Farrell fou de joie). Le reste du temps, le récit se perd dans des twists à rallonge filmés comme une série HBO et des scènes d’actions interminables, mises en scène à l’eau courante, pompées partout et nulle part à la fois (abominable première séquence de combat, qui devrait faire pleurer le del Toro de Blade II). Au passage, le seul autre point (mis à part le sujet principal donc) que la chose évite d’approfondir, c’est sa toile de fond géopolitique, barbouillée sommairement en début de film (en gros, la terre est inhabitable, à part L’union fédérale britannique, et « la colonie », qui est en fait l’Australie) et plus ou moins lâchée dans le vide intersidéral par la suite, tant il est vrai que les rapports de force qui conditionnent le scénario méritaient de passer à l’as, au profit d’une énième scène de poursuite entre les faux époux. On finit même par se demander si Wiseman ne voulait pas plutôt remaker Mr and Mrs Smith.
Alors oui, Total Recall est une purge, mais une question domine : ne restait-il pas un peu de place pour quelques mutants marrants ?
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