Comment filmer l’ennui sans être ennuyeux ?
Le 15 mars 2007
Mélancolie qui ronge l’âme, émotion nue, autopsie des cataclysmes intérieurs. Beau tohu-bohu confidentiel et cérébral.
- Réalisateur : Jun Ichikawa
- Acteurs : Hidetoshi Nishijima, Issei Ogata, Rie Miyazawa
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Festival : Les 15 ans de la MCJP
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– Durée : 1h15mn
Mélancolie qui ronge l’âme, émotion nue, autopsie des cataclysmes intérieurs. Beau tohu-bohu confidentiel et cérébral.
L’argument : Tony a eu une enfance solitaire. Il perçoit donc les émotions comme anormales, voire immatures. Quand il rencontre Eiko, il découvre les sentiments jusqu’alors ignorés : l’affection, et son pendant, la peur de sa perte. Leur amour s’épanouit sans problème à une exception près : l’achat compulsif et irrésistible de vêtements de marque qu’Eiko accumule dans une pièce dédiée à cette obsession. Quand elle disparaît tragiquement, Tony passe ses journées dans cette pièce, entouré de ces habits-souvenirs. Il décide alors de passer une annonce, à la recherche d’une femme aux mesures de la disparue...
Notre avis : Adapté d’une nouvelle de Haruki Murakami (Tony Takitani), Tony Takitani raconte l’histoire d’amour subtilement bouleversante d’un artiste incapable de se réconcilier avec la vie depuis une enfance morne, et d’une femme qui achète compulsivement des vêtements comme pour compenser le vide de son existence. Le film se focalise sur ces deux personnages en les isolant volontairement du reste du monde. En les cloîtrant dans une pièce où ils apprennent à s’aimer ou à faire le deuil de leurs anciennes peaux de chagrin. Jun Ichikawa œuvre dans le cinéma de la mélancolie et de la chronique dépressive comme aujourd’hui Béla Tarr, Gus Van Sant, Tsai Ming-liang et Vincent Gallo. Des œuvres intimistes, radicales et sans concession qui se méritent et autopsient le malheur du monde avec des plans étirés à l’extrême pour faire vivre des soubresauts d’émotions dans un monde déshumanisé.
Malgré l’omniprésence de la voix off et le dispositif formel (les images du passé et du présent se confondent dans un tumulte mental), Tony Takitani colle à la psychologie dévastée de ses personnages quasi fantasmés et observe, avec compassion, les ravages des vicissitudes. C’est surtout un film qui sait se faire discret là où d’autres cinéastes auraient certainement ajouté des couches de pathos ou incrusté des panneaux explicatifs. Ici, rien. Rien que des regards tristes, des mots non dits, des charivaris intérieurs. L’émotion est nue, les plans dépouillés et les interprètes, sobres. Les dialogues, très littéraires, s’accordent harmonieusement aux images et mettent incidemment en valeur l’écriture fluide et cristalline de Murakami. Expérience pas facile, c’est certain, mais Tony Takitani, par la profondeur de ses mots et de ses maux, par sa propension à ne pas répondre aux désirs des impatients, impose sa lenteur, sa grâce et son infinie beauté.
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