Le 16 mai 2019
Un sommet du naturalisme littéraire, jusqu’à l’excès. Le troisième roman d’Emile Zola fit scandale à sa sortie.


- Auteur : Emile Zola
- Genre : Roman & fiction, Classique de la littérature
- Nationalité : Française

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Résumé : Thérèse Raquin, nièce d’une mercière parisienne, vient d’épouser Camille, le fils de cette dernière, faible et maladif. La rencontre avec Laurent, peintre raté et ami de Camille, modifie aussitôt la vie familiale. Thérèse devient sa maîtresse et les amants décident de tuer Camille.
Notre avis : Aux contempteurs du célèbre écrivain naturaliste qui traînèrent Thérèse Raquin dans la fange, en arguant de son immoralité et de sa complaisance pour le sordide, le récit apporte un démenti catégorique sur le terrain de la justice immanente. Thérèse et Laurent, les deux amants, expient leur crime à partir du moment où celui-ci est perpétré, comme si la vengeance s’accomplissait dans une mise en scène macabre, qui lorgne sur le fantastique. Le fantôme du défunt, plutôt discret de son vivant, se déchaîne à travers les visions hallucinées des personnages, tandis que la mère du fils assassiné, détruite par une sorte de looked-in syndrom, épie de ses yeux fous les moindres réactions des deux personnages qui se déchirent sous ses yeux. Dans la préface à la seconde édition du roman, répondant aux critiques qui lui avaient été adressées, Emile Zola justifie sa démarche en précisant que les deux protagonistes sont des brutes sanguines, des "tempéraments" qu’il s’agit d’ausculter, selon la bonne méthode naturaliste, dont les prétentions scientifiques, imprégnées du positivisme ambiant, n’ont jamais convaincu qui que ce soit, dès lors que la fiction dément tout protocole expérimental, assigne des créatures imaginées à la conformité que décrète l’artiste.
Cette théorisation fumeuse du récit, plutôt révélatrice des prétentions du roman, ne discrédite absolument pas la qualité littéraire de ce texte, que sa construction valorise, en illustrant une implacable progression de la tragédie, par lente destruction de ceux qu’elle accable, jusqu’à leur mise à mort. La structure du roman, d’abord ascensionnelle, jusqu’à l’acmé que constitue le crime, privilégie la chute logique des personnages, unis par leurs désirs de transgression et de la soudaineté fulgurante, dévolus au slogan baudelairien "anywhere out of the world". Of this world, serait-on tenté de corriger, où l’on s’ennuie entre gens médiocres, réunis une fois la semaine. A cette aune, la célèbre description du corps de Camille, agit selon un effet-miroir. On se souvient que, pressé de vérifier l’existence du cadavre, Laurent se rend à la morgue. Or, il s’agit bien pour le criminel d’observer sa propre mort, de la regarder longuement, dans le détail d’un examen qui fit date, radicalisant la démarche de Flaubert, lorsqu’il décrivait l’agonie de la pauvre Emma dans Madame Bovary.
Lesté de descriptions trop symboliques, le propos s’égare parfois dans une illustration de sa propre théorie. Mais enfin Zola avait beaucoup de talent, qui transcenda une simple option esthétique, pour lui donner la valeur d’un témoignage sur l’expérience de la misère humaine.