Le 11 mars 2021
Un rape and revenge d’une extrême âpreté sur l’impossible mixité des civilisations et, de fait, l’irruption de la notion de violence, celle que l’on subit et celle que l’on inflige aux autres. Tuer pour exister.
- Réalisateur : Jennifer Kent
- Acteurs : Sam Claflin, Damon Herriman, Aisling Franciosi, Baykali Ganambarr
- Genre : Drame, Thriller, Drame historique, Aventure
- Nationalité : Américain, Australien
- Distributeur : Condor Distribution
- Durée : 2h15mn
- VOD : OCS
- Date de sortie : 9 mars 2021
- Festival : Hallucinations collectives, Mostra de Venise 2018
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Résumé : 1825, dans l’Australie sous domination anglaise. Après avoir purgé sa peine, Clare, une jeune bagnarde irlandaise, va bientôt pouvoir vivre librement auprès de son mari et de son bébé. Mais son officier de tutelle n’en a pas fini avec elle : violée et laissée pour morte, Clare assiste impuissante au massacre de sa famille par des soldats britanniques. A son réveil, au bord de la folie, elle se lance à leur poursuite à travers les terres vierges de Tasmanie avec pour guide un jeune aborigène. Dans cette région sauvage et isolée, où les lois des hommes ne s’appliquent plus, elle ne reculera devant rien pour se faire justice.
Critique : Sept ans après le phénomène horrifique Mister Babadook, la réalisatrice d’origine australienne Jennifer Kent compose avec The Nightingale un nouveau portrait de femme brisée, martyre d’une nation gangrénée par la segmentation communautaire et l’extermination de masse. Au-delà de la quête vengeresse de la protagoniste principale, voulant réparer un passé aussi inexistant que l’avenir de sa contrée sauvage, The Nightingale traite en filigrane des conséquences dévastatrices de la colonisation anglaise de l’Australie par le prisme d’un duo de personnages que tout oppose, mais qui devront taire leurs rivalités pour pourvoir survivre sur cette terre infertile. Ce qui avait commencé comme un revenge movie pur et dur se transforme alors peu à peu en une œuvre profondément naturaliste et unique en son genre, puisque l’on assiste à l’avènement d’une civilisation en pleine mutation face au génocide du peuple autochtone. Un choc des civilisations qui ne mènera qu’à la mort et l’abomination. Le caractère apocalyptique est prégnant sur chaque plan et devient de fait le vecteur de la pulsion intrinsèque de l’homme à détruire, vilipender et dépouiller de toute vie. Jennifer Kent, plus que quiconque avant elle, explore la nature bestiale, voire primaire,de la colonisation avec un regard humaniste et, plus encore, féministe.
Le film contourne facilement les pièges du manichéisme facile qui oppose les colons aux natifs, pour mieux surligner les relations ambigües qui animent les différents personnages, plongés dans l’enfer vert d’une forêt qui semble ne jamais s’arrêter, extension physique de leur aspirations avortées. L’habileté du récit est de montrer des paysages de désolation après la conquête. The Nightingale apparaît alors comme le chant du cygne d’une civilisation ayant abandonné toute décence jusque dans ses fondements les plus élémentaires, où les combattants ne se reconnaissent plus, ne restant que des corps abîmés et désarticulés, déshumanisés par la guerre, des hommes et femmes ayant perdu l’envie de construire le monde nouveau qu’on leur a promis. Ce microcosme, symbole de la folie humaine, semble davantage hanté par son passé que dirigé vers le progrès. L’héritage du sang versé se manifeste à travers cet enfant pris à parti par le terrifiant capitaine Hawkins, incarné par Sam Claflin, lui ordonnant d’achever son semblable. De l’autre côté, le duo formé par la talentueuse Aisling Franciosi et Baykali Ganambarr, pour la première fois à l’écran, a parfaitement conscience du fait que son salut dépendra de sa capacité à s’unir en faisant abstraction de ce qui le divise, tous deux étant des victimes collatérales d’une société déshumanisée.
The Nightingale brasse autant de thématiques passionnantes que de sous-genres différents et invite le spectateur à méditer sur les ravages d’une réalité factice et illusoire, le passage de l’état sauvage à un monde certes plus structuré, davantage matérialiste, mais non moins obscène. A la barbarie se substitue une autre horreur, celle de l’impérialisme, ce nouvel ordre mondial qui s’effondrera des dizaines d’années plus tard sous le joug de la Première Guerre mondiale. Jennifer Kent signe là un second long métrage d’une maîtrise sans failles et confirme son statut d’auteur à suivre, tant l’on perçoit déjà les balbutiements d’une cinéaste majeure.
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