Le 11 avril 2015
Adapté d’une nouvelle d’Henry James, ce film rarissime est une découverte aussi passionnante qu’ambiguë.
- Réalisateur : Martin Gable
- Acteurs : Robert Cummings, Susan Hayward, Eduardo Ciannelli, Agnes Moorehead, Joan Lorring
- Genre : Thriller
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Sidonis Calysta
- Durée : 1h29mn
- Date de sortie : 21 novembre 1947
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– Sortie DVD : le 7 avril 2015
Adapté d’une nouvelle d’Henry James, ce film rarissime est une découverte aussi passionnante qu’ambiguë.
L’argument : Editeur new-yorkais, Louis Venable souhaite plus que tout au monde acquérir les lettres d’amour de Jeffrey Ashton, un poète disparu de longues années plus tôt, dans des circonstances troubles. Juliana Bordereau, son ancienne muse désormais centenaire, lui en interdit l’accès, il ne se décourage pour autant pas.
Notre avis : Robert Cummings, qui interprète l’éditeur à la recherche des lettres, est dans le jardin. La caméra s’élève, vient capter Susan Hayward dans un étrange corridor vitré suspendu, et la suit pendant qu’elle marche, les yeux fixés sur son invité. Un seul plan, magistral, et tout est dit du rapport entre les deux personnages, de l’emprisonnement de la femme, Tina, mais aussi de l’un des thèmes souterrains du film, le voyeurisme. Prenons une autre séquence : Lewis, l’éditeur, a entendu un piano jouer ; il suit la musique, emprunte un escalier dont les ombres dessinent de savantes arabesques ; la caméra, en un travelling ascendant, l’accompagne. Il débouche dans une pièce lumineuse, à l’opposé de l’ensemble de la demeure sombre et poussiéreuse. Devant le piano, Tina irradie dans une robe blanche, elle qui, le jour, porte d’austères vêtements noirs. Là encore, l’ensemble de la mise en scène conspire à créer des sens multiples : on ne sait pas encore si Lewis rêve, si le film appartient au fantastique, si Tina a une sœur jumelle, s’il s’agit d’un dédoublement de personnalité. The lost moment est passionnant dans ses hésitations mêmes et ses ouvertures multiples. On est à la fois en terrain connu, avec ces vieilles demeures gothiques, ces fantômes, ces pièces interdites (et des références évidentes nous viennent en tête, que ce soit Rebecca, Le Château du Dragon, ou Le Secret derrière la Porte), et dans un mélange hybride qui va du drame romantique au conte de fées (Tina sera sauvée si elle trouve l’amour).
Le film est un quasi huis-clos, que quelques rares aérations rendent encore plus suffocant : une Venise abstraite de studio, un restaurant « typique », peu de lieux en somme qui sont délimités par un cadre enfermant. Le reste, l’essentiel, se passe dans cette demeure gothique, surchargée, envahie de toiles d’araignées, que Lewis parcourt comme un labyrinthe et dont la servante dit qu’elle connaît des passages secrets. Et les secrets sont légion : de la disparition du poète à la folie de Tina, ils tissent un réseau thématique qui lie les personnages de manière inextricable. Chacun à sa manière est prisonnier, et seule la « tragédie » annoncée par le prêtre les libérera. On le comprend assez tôt, c’est de la destruction que viendra la renaissance ; car le paradoxe de la maison est que Juliana, la veuve centenaire, ne peut vivre qu’à l’intérieur, et Tina qu’à l’extérieur.
Dans ce drame, les signes annonciateurs se multiplient, soit par les dialogues, soit par la mise en scène qui ne cesse de jouer avec le caché et la profondeur de champ. À cet égard l’entrée en scène de Juliana, dont on ne voit d’abord que la main ridée et la bague, élément essentiel du film, est remarquable. Le scénario est construit sur un système de correspondances étroit, relayé par une mise en scène au cordeau : ainsi des multiples travellings qui révèlent autant qu’ils dissimulent. La finesse est ici confondante. On est d’autant plus surpris qu’il s’agit du seul film de Martin Gable, qui, à l’instar de Charles Laugthon ou Peter Lorre, était un acteur auteur d’une œuvre unique. Certes, The lost moment n’a pas le charme vénéneux de La Nuit du chasseur, mais il reste une tentative ambitieuse, originale et forte, dont on regrette qu’elle n’ait pas eu de suite.
Les suppléments :
Outre une galerie photos de piètre qualité, le DVD propose à l’habitude l’intervention de Patrick Brion, qui revient en 9 minutes sur plusieurs aspects du film (le réalisateur, le producteur, le style) et de François Guérif, qui axe son entretien sur les différences entre la nouvelle d’Henry James et son adaptation (10 minutes). Passionnant dans les deux cas.
L’image :
Malgré quelques parasites (traits blancs verticaux, surtout), la copie rend justice au travail du chef opérateur avec la profondeur des noirs, les nuances de gris et la profondeur de champ.
Le son :
La restauration rend les dialogues et la musique limpides, même si, au vu de l’âge du film, la seule piste Dolby Digital 2.0 ne peut délivrer qu’un son limité selon nos critères contemporains.
Galerie photos
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