Mafia feutrée.
Le 2 avril 2020
Avec ce fleuve de 3h30, mais qui passe vite, jamais ennuyeux, par son intimité crépusculaire et une forme d’élégance, Scorsese livre probablement un de ses meilleurs films.
- Réalisateur : Martin Scorsese
- Acteurs : Robert De Niro, Al Pacino, Harvey Keitel, Joe Pesci, Stephen Graham, Bobby Cannavale, Jesse Plemons
- Distributeur : Netflix
- Durée : 210 minutes
- VOD : NETFLIX
- Scénariste : Steven Zaillian
- Genre : Biographie, Mafia
- Titre original : The Irishman
- Date de sortie : 27 novembre 2019
- Plus d'informations : The Irishman
Résumé : Dans sa maison de retraite, Frank Sheeran se remémore sa vie. Chauffeur de camion dans les années 1950, il se lie avec Russell Bufalino parrain de la mafia locale, et devient homme à tout faire et tueur à gages. Russell le présente à l’un des hommes les plus puissants des Etats-Unis, Jimmy Hoffa, président du puissant syndicat des camionneurs…
Notre avis : Il y a presque trente ans, avec Les Affranchis, Martin Scorsese livrait un des plus grands films sur la mafia, récit flamboyant sur la vie de Henry Hill, gangster new-yorkais. Flamboyant par sa reconstitution détaillée, flamboyant par les portraits de ces truands au-dessus de toutes les lois et morales, flamboyant par sa bande-son et sa réalisation de haute voltige, comme ce plan-séquence entré dans l’histoire : Henry invite sa future femme dans un cabaret chic. La caméra les suit depuis la rue, ils passent par l’entrée de service, descendent un escalier, se faufilent dans les cuisines en pleine effervescence, arrivent dans la salle où le maître d’hôtel les reçoit avec courbettes et leur installe fissa une table au premier rang, devant la scène d’où le crooner de service salue Henry. Voilà la mafia dans sa toute puissance, voilà ces seigneurs de la ville.
The Irishman s’ouvre par un plan-séquence à travers une maison de retraite médicalisée. La caméra flotte dans une ambiance calme, sillonne les couloirs et arrive dans un salon où se trouve, de dos, un vieil homme sur un fauteuil à roues ; la caméra tourne autour et cadre le visage du vieillard. C’est Robert De Niro, muet. En voix off, il commence à raconter sa vie, comme Henri Hill déclarant à la deuxième minute des Affranchis, également en voix off : « aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être gangster ». De Niro brise alors le quatrième mur, enfin presque, son regard face caméra étant masqué par ses énormes lunettes de mafieux à verres fumés. Il continue la narration commencée en voix off. Par ce simple glissement sémantique, Scorsese nous fait comprendre qu’il ne nous embarque pas dans un nouvel Affranchis, mais un film intime et crépusculaire.
- Copyright Netflix
Le réalisateur s’est battu pendant plus de dix ans pour monter ce projet. C’est finalement Netflix qui a déboursé plus de 150 millions de dollars, afin que sa production démarre et que la distribution mondiale soit assurée. Au casting, Scorsese reforme le couple mythique des Affranchis et Casino (1995), Robert De Niro et Joe Pesci, et y adjoint Al Pacino. Moyenne d’âge de tout ce beau monde ? Plus de 77 ans. Plus crépusculaire, difficile de faire mieux. Ce vieillard de 80 ans est Frank Sheeran. Vétéran de la Seconde guerre mondiale, chauffeur routier, il croise par hasard, vers 1950, Russell Bufalino, un boss de la mafia opérant en Pennsylvanie. Sheeran va devenir « associé », le terme désignant un gangster en affaire avec la mafia, mais ne pouvant pas être affranchi, car non italien, puisqu’il est irlandais.
Scorsese prend comme point d’ancrage un voyage en voiture en 1975, où Russel, Sheeran et leurs épouses se rendent à Detroit, pour le mariage de la fille d’un proche de Jimmy Hoffa, le patron du puissant syndicat des camionneurs. Un syndicat lié à la mafia et pouvant, en cas de grève, totalement paralyser les États-Unis. Lors de ce voyage, Russel, interprété par Joe Pesci, a déjà 72 ans et Sheeran, 55 ans. On n’est pas vraiment dans la fougue d’un jeune Henry Hill sous coke, mais plus dans les pauses pipi et motels. Scorsese prend le temps de ce road trip, pour revenir en longs flash-back sur la vie de Sheeran. Si tous les marqueurs scorsesiens sont bien au rendez-vous (reconstitution minutieuse, riche bande-son, science absolue du découpage, le tout sublimé par sa monteuse attitrée, Thelma Schoonmaker), ils sont cette fois plus en retenue. En particulier la violence, forcément présente, mais quasi épurée et bien moins crue que dans Les Affranchis ou Casino.
- Copyright Netflix
The Irishman est à la fois sobre et complexe, et d’une brillante limpidité, au regard de sa densité historique. Une richesse qui ravira à la fois « férus » de la mafia et néophytes, et donc, a priori, un public plus jeune. Sa limpidité et toute sa profondeur, empruntent alors une voie quasi tarantinesque, celle du verbe : la voix off de De Niro et un script composé de longues scènes de « comédies » sur la vie privée compliquée de Sheeran, sa profonde amitié avec Russel, et sa relation complexe avec Hoffa, dont il fut garde du corps et ami intime. Une amitié qui sera intenable quand les rapports entre Hoffa et la mafia se compliqueront, suite à l’élection de Kennedy. Scorsese, déroule alors son bréviaire de la mafia, de ses intrications avec les mondes politiques, judiciaires et syndicaux. Dans son style unique, par touches impressionnistes, il distille l’histoire, mais celle avec une grande hache : petites scènes avec voix off, ou simples plans - tournés ou archives - et du name dropping pour connaisseurs. Un simple exemple : au début du film, Sheeran/De Niro trace sur une carte le trajet jusqu’à Détroit, et explique en voix off que le voyage en auto va être long, parce que Russel ne supporte pas la fumée en voiture et qu’il faudra faire beaucoup d’arrêts. La raison ? Une promesse qu’il s’est faite à Cuba : « si je sors vivant des casinos de Meyer Lansky, pris d’assaut par Castro, j’arrête de fumer ». Cette petite anecdote explique la nature des personnages, leurs manies les rendant humains, et glisse une allusion sur les casinos contrôlés par la mafia. Le connaisseur s’amusera du name dropping de Lansky, ministre des finances de la mafia et bras droit de Luciano, l’homme qui « industrialisa » Cosa Nostra, après la prohibition. Scorsese évoque le fiasco de la réunion de tous les parrains des États-Unis à Apalachin, où Vito Genovese voulut prendre le contrôle de Cosa Nostra, avant d’être interrompu par une descente de flics, les exécutions d’Anastasia, Gallo, la tentative d’assassinat de Joe Colombo et autres règlements de comptes au plus haut niveau. Des événements qui ont touché, directement ou indirectement, nos trois personnages, Sheeran, Russel et Hoffa, tout puissants qu’ils étaient à leur niveau, dont ils n’étaient que des rouages. Ainsi, quand l’heure fatale a sonné pour Hoffa, Russel, dans l’ambiance cosy d’un gala, explique « que cela vient d’en haut ». Frank souligne qu’Hoffa est aussi en « haut », mais Russel coupe court en expliquant doucement que « s’ils butent un président, ils buteront un président de syndicat », puis chuchote à Franck « tu le sais… et je le sais ». Scorsese signe alors film le plus feutré qu’on pouvait imaginer sur la mafia.
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On ne passera pas sous silence les effets numériques qui ont permis de rajeunir De Niro, Pacino et Pesci de trente ans, voire plus, pour les scènes se passant dans les années 50 ou pendant la guerre. Si l’effet est un peu déroutant au début, cela passe comme une lettre à la poste, car l’interprétation de ces trois monstres est impressionnante. De Niro s’avère sobre, tout en retenue, en particulier dans la dernière demi-heure, vieillard attendant la mort, hanté par son passé et un coup de fil littéralement abject. Pacino brille dans le rôle de Hoffa, affable et coléreux. Mais on appréciera surtout Pesci, en parrain calme, posé, presque bienveillant : absolument rien à voir avec ses numéros hallucinés dans Les Affranchis ou Casino. Il décroche ici le meilleur emploi de sa carrière. Rendons grâce à Scorsese de l’avoir harcelé, puisqu’il a refusé le rôle une bonne trentaine de fois avant de céder. Grand bien lui a pris, et espérons qu’il décrochera un prix, tel l’Oscar !
Avec The Irishman, Scorsese livre un long fleuve de 3h30, - il y a du Leone -, mais qui passe vite, n’est jamais ennuyeux, par son intimité crépusculaire et une forme d’élégance. Probablement un de ses meilleurs films.
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jonas0_13 10 mai 2020
The Irishman - Martin Scorsese - critique film
J’avoue ne pas comprendre l’engouement pour ce film que j’ai trouvé beaucoup trop long et passablement ennuyeux.