Le 10 janvier 2022
Envoutant et diaboliquement mené, le film de Paul Schrader constitue un joyau de lumière, noirceur, musique et tensions. L’évènement cinématographique de la fin d’année 2021.
- Réalisateur : Paul Schrader
- Acteurs : Willem Dafoe, Oscar Isaac, Tye Sheridan, Tiffany Haddish, Joel Michaely
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Américain, Britannique, Chinois
- Distributeur : Condor Distribution
- Durée : 1h52mn
- Âge : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
- Date de sortie : 29 décembre 2021
- Festival : Festival de Deauville 2021, Festival de Venise 2021
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Résumé : Mutique et solitaire, William Tell, ancien militaire devenu joueur de poker, sillonne les casinos, fuyant un passé qui le hante. Il croise alors la route de Cirk, jeune homme instable obsédé par l’idée de se venger d’un haut gradé avec qui Tell a eu autrefois des démêlés. Alors qu’il prépare un tournoi décisif, Tell prend Cirk sous son aile, bien décidé à le détourner des chemins de la violence, qu’il a jadis trop bien connus…
Critique : C’est l’histoire d’un homme qui compte les cartes. Il a passé près de dix ans en prison où il a eu le temps d’entraîner sa mémoire. Il retient chaque numéro, chaque symbole des cartes, et calcule dans sa tête les probabilités de gagner ou de perdre. Cet homme s’appelle William Tell. Il est interprété par un Oscar Isaac absolument époustouflant. The Card Counter n’est pas un film comme un autre. C’est le portrait ciselé au couteau, précis, d’un individu sombre et complexe qui erre d’hôtel en hôtel et de casino en casino. Il gagne de l’argent, mais tout juste ce qu’il faut afin de ne pas attirer les regards. Toute son existence se situe dans la peur d’être repéré, il traverse le pays dans sa voiture, veillant à ne laisser aucune trace de son passage. Il n’a pas de vie amoureuse, sexuelle ou amicale. Son existence se cantonne à disparaître du regard d’autrui et accumuler les dollars qu’il remporte dans les jeux d’argent. Tout le reste n’est que vide, jusqu’à ce qu’un curieux jeune homme, Cirk avec un C, étreint par la violence, vient à sa rencontre.
- Copyright 2021 Lucky Number, Inc.
Paul Schrader réalise une œuvre dense et totalement aboutie. Produit entre autres par Scorsese, le long-métrage ressemble à un vaste labyrinthe psychologique que le réalisateur décortique méticuleusement. Très vite, le propos devient poisseux et anxiogène. D’ailleurs, la photographie joue habilement avec le noir, la lumière et les couleurs. En atteste cette scène somptueuse où le joueur de poker déambule avec une femme dans un parc artificiel où les arbres et les plantes ressemblent des sapins de Noël géants. Toute la mise en scène est pensée par rapport à cet environnement sombre et énigmatique. L’espoir est très rare, même lorsqu’il se glisse dans un couple d’adolescents au bord d’une piscine, pendant que William et son étrange compagnon de route, Cirk, échangent sur la nature de leur relation. A cette ambiance à la fois envoutante et cruellement tendue, s’ajoute une bande originale de toute beauté. On retrouve l’esprit d’un film comme Drive de Nicolas Winding Refn dont la force était avant tout musicale et esthétique. Les chansons qui accompagnent le récit donnent à l’histoire une portée supplémentaire, quasi spirituelle. Elles emportent littéralement le spectateur au fond des angoisses et des tourments du personnage principal.
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Mais The Card Counter échappe magnifiquement au risque de la seule vacuité esthétique. Il offre à la narration une dimension hautement politique. Toute l’Amérique est condamnée dans son rapport à l’argent, au capitalisme, et surtout dans la folie moraliste que le pays a maintes fois mis en scène. Le long-métrage parle de violence, de repentance et de regrets. Finalement, le drame s’incarne essentiellement dans ce duo atypique constitué de cet homme sombre et mystérieux, et de ce jeune homme perdu, toujours prêt au pire. On s’interroge même pendant tout le film sur ce qui constitue le terreau de leur relation à tous les deux. S’agit-il de désir ? D’une recréation de la dyade père-fils ? Le film ne donne pas toutes les clés et laisse au spectateur imaginer ce qu’il veut bien donner comme contenu à leur rencontre. En ce sens, la narration fonctionne par ellipses, par silences, et offre à chacun la possibilité de donner un sens à cette macabre descente en enfer de personnages abîmés par l’existence.
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The Card Counter laissera sans aucun doute une trace certaine dans l’histoire du cinéma américain. On ressort de cette œuvre à la fois glacé et rassuré par l’issue finale. Dans tous les cas, le film offre un immense moment de cinéma.
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