Le 12 février 2025
The Brutalist est une odyssée monumentale sur le rêve américain qui s’ébranle dans la violence et le mépris de ses minorités. Adrien Brody est vertigineux dans son interprétation du héros principal.


- Réalisateur : Brady Corbet
- Acteurs : Guy Pearce, Isaach de Bankolé, Alessandro Nivola, Adrien Brody, Jonathan Hyde, Felicity Jones, Ariane Labed, Joe Alwyn
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain, Britannique, Hongrois
- Distributeur : Universal Pictures France
- Durée : 3h35mn
- Âge : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
- Date de sortie : 12 février 2025
- Festival : Festival de Venise 2024

L'a vu
Veut le voir
Résumé : Fuyant l’Europe d’après-guerre, l’architecte visionnaire László Tóth arrive en Amérique pour y reconstruire sa vie, sa carrière et le couple qu’il formait avec sa femme Erzsébet, que les fluctuations de frontières et de régimes de l’Europe en guerre ont gravement mis à mal. Livré à lui-même en terre étrangère, László pose ses valises en Pennsylvanie où l’éminent et fortuné industriel Harrison Lee Van Buren reconnaît son talent de bâtisseur. Mais le pouvoir et la postérité ont un lourd coût.
Critique : Heureusement que le film a été tourné bien avant le retour au pouvoir de Trump aux États-Unis. Car on aurait pu facilement accuser le comédien et réalisateur Brady Corbet de collusion avec le fait politique dans un pays, les USA, qui cherche à criminaliser ses migrants illégaux et se replie dans un nationalisme extravagant et clinquant. The Brutalist s’annonce comme un vaste péplum de plus de trois heures où, au lieu des Romains ou des Grecs, le réalisateur installe sa caméra dans trente ans d’histoire américaine, depuis la Seconde Guerre mondiale où le pays a réussi à sauver des générations entières de juifs jusque les années 80, à travers la figure d’un architecte génial, László Tóth, qui s’épuise dans un projet monumental de construction, aux côtés d’un milliardaire terrifiant. Voilà donc un film qui n’a pas peur de la folie de grandeurs, tant il est ambitieux dans la forme et le fond, au risque sans doute de perdre ses spectateurs.
- Copyright A24
Le long-métrage est si dense que le distributeur impose au bout d’une heure quarante, une pause d’un quart d’heure. Construit comme un roman à la Balzac, la fiction est structurée en deux grandes parties, la première étant manifestement la meilleure, avec un prologue et un épilogue. Le cinéaste raconte en réalité le rêve de l’empire américain qui faillit dans le vampirisme capitalisme et le goût de la démesure. L’horreur est lisible notamment dans ce personnage de milliardaire qui est tout à la fois génial, généreux et toxique. Son amour du pouvoir emprunte toutes les formes d’abus, qu’ils soient moraux, sexuels ou financiers. Le réalisateur réussit à montrer la complexité de ce modèle national qui est capable du meilleur comme du pire, notamment à l’égard de ses populations vulnérables ou des minorités. Et il y a aux côtés de cet homme immonde l’architecte, échappé des camps de la mort, qui tente de conjuguer son désir de liberté et les traumatismes liés à son histoire.
Il est sage de nous souvenir, aussi évident soit-il de le préciser, que la Shoah a détruit des existences toutes entières, bien au-delà des stigmates laissés par les camps de la mort et des personnes qui ont subi ces infamies. László Tóth est un homme défait : défait par la douleur, défait par la solitude, défait par la drogue et l’alcool qui lui permet de supporter l’insupportable. Il tente de survivre, dans une société américaine qui à la fois le fait espérer et le renvoie inéluctablement à sa condition d’exilé. Son désarroi profond et quasi indépassable l’amène à des attitudes de toutes sortes qui vont de l’acceptation du pire aux comportements colériques, gratuits et irrationnels. Brady Corbet décrit dans une langue cinématographique volontairement emphatique voire grandiloquente, les ravages du traumatisme de l’immigration, renforcés par les processus de stigmatisation et de rejet par la communauté d’accueil.
- Copyright A24
Ce langage cinématographique, le sujet abordé donnent au long-métrage une connotation particulièrement politique. La mise en scène est admirable, le prix du meilleur réalisateur reçu à Venise par Brady Corbet est mérité ; mais surtout ce dernier donne à voir un film qui évoque de manière frontale la manière dont les Américains reviennent sur les fondamentaux de leur culture où l’accueil de l’autre, le sens de la démocratie, semblent se fissurer avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Son œuvre témoigne d’une défection des sociétés occidentales qui au lieu de se réjouir de la grandeur de l’autre, se perd dans des considérations discriminantes et blessantes à l’égard des plus vulnérables d’entre nous.
The Brutalist est un film aussi monstrueux qu’attachant. Monstrueux car, à la manière des réalisations architecturales du héros, il n’hésite pas à braver toutes les limites dont le cinéma d’auteur peut se rendre capable, en matière de décors, moyens financiers et formalisme. Attachant car malgré l’inégalité des deux parties, il convoque chez le spectateur la nécessité de la tolérance, de l’amour et de l’ouverture d’esprit. Certes, voilà un film qui va cliver ses spectateurs. Pour les uns, The Brutalist sera trop long, complaisant et inégal, mais assurément pour nous, c’est une œuvre puissante, d’une dimension narrative et esthétique totalement aboutie.