Sin City - La chronique BD

A Sin City, tout est blanc, ou totalement noir. Il n’existe pas de juste milieu, de gris indécis. Le contraste absolu entraîne des silhouettes douloureuses dans des ruelles obscures et dangereuses, ou bien sous des lumières aveuglantes. A travers un graphisme des extrêmes, Frank Miller nous ouvre les portes de son domaine réservé, le décor de ses tourments. Bienvenue à Sin City, reflet sombre de l’éclat doré de Vegas et de son rêve. Bienvenue dans le cauchemar américain.

Dès le premier tome, Miller pousse à son paroxysme ses thèmes fétiches, abordant les tabous de front : violences criminelles et institutionnelles, archaïsme de la pulsion comme seul moteur de nos actes. Son voyage près des marges gagne aussi la représentation des corps : exacerbés, défigurés, torturés et mutilés, jamais à leur bonne place ou à l’inverse consommables, sur-désirables ou simples objets, apparats gratifiants de l’ordinaire. Sin City est emporté par l’énergie de l’outrance et du passionnel, dans ses drames, dans ses amours, dans ses crimes. C’est ce qui fait sa force et donne à l’encre de Miller une telle puissance. Car cette dualité visuelle exprime mieux que tout l’ambiguïté qu’entretient Miller avec l’Amérique. Son Amérique.

Nous sont ainsi présentés Marv le ravagé, que la société éradiquera selon sa loi, ou Dwight, l’amoureux, jusqu’à la mort. Mais au final, on retrouve chaque protagoniste au moins sur un point : empêtré dans les méandres tentaculaires d’une pieuvre dont il ne peut se défaire. Sa ville.

Avec Moore outre-Atlantique, Miller a complètement bouleversé le comics contemporain, entraînant derrière lui des générations d’auteurs BD. Aujourd’hui, bon nombre d’auteurs le citent comme référence majeure. Et pas seulement dans la bande dessinée. Des écrivains ou des cinéastes ont fait de son travail un modèle. Victimes de la croissance urbaine à l’échelle graphique.