Regarde les hommes tomber
Le 15 décembre 2005
Un film brut et exigeant à ne pas mettre entre toutes les mains. La récompense est à la hauteur de l’effort.
- Réalisateur : Sharunas Bartas
- Acteur : Denis Kirilov
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Portugais, Lituanien
- Festival : Festival de Cannes 2005
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– Durée : 2h
Un film brut et exigeant à ne pas mettre entre toutes les mains. La récompense est à la hauteur de l’effort.
L’argument : L’action se déroule dans le sud de l’ancienne Union Soviétique, en Crimée. Les personnages sont des hommes et des femmes hostiles à la société. Cette hostilité leur donne le désir de fuir la justice, ou de se fuir eux-mêmes.
Leur fuite se transforme en un voyage, qui les mène à un conflit inévitable avec le monde, puisque celui-ci ne peut être changé ni reconstruit selon leur désir.
Notre avis : Que les allergiques au cinéma neurasthénique arrêtent de lire cette chronique : ce film ne leur est pas destiné et ne leur inspirera qu’ennui et mépris. Sharunas Bartas persiste dans la voie d’un cinéma autiste et dérangeant, étranger aux autres, même aux spectateurs qui hantent les salles obscures. Ceux qui ont déjà vu un film du cinéaste savent à quoi s’attendre et ont depuis longtemps choisi leur camp. Les autres ne peuvent que se préparer au choc, tant son cinéma ne ressemble à aucun autre, quelque part entre le documentaire anthropologique et le drame sourd. Flaherthy chez Garrel.
Seven invisible men ne faillit pas à la règle, malgré une première demi-heure désarmante, s’aventurant insidieusement sur les terres du film de gangster. Pour ausculter les cendres du communisme, Sharunas Bartas filme le désarroi mental de ses personnages en circuit fermé : sans invoquer la participation du spectateur. C’est ce qui risque de gêner le plus, tant le cinéaste adopte une posture radicale, refusant toute concession à son public. Là où la plupart se contentent de le caresser dans le sens du poil, le Lituanien préfère l’asphyxier, lentement, avant de lui tordre le cou. Le geste mortifère est d’une incroyable précision.
Par moments, le film est difficilement soutenable dans sa débauche de noirceur poisseuse. Pourtant, elle est là, la fameuse inconnue de l’équation cinématographique : la fascination. Celle-là même qui empêche les films de Hou Hsiao-hsien de sombrer dans une mélancolie soporifique, et qui rend son œuvre si puissamment hypnotique. Derrière sa façade volontairement bordélique (éclatement narratifs, ruptures, dialogues pseudo-improvisés), Seven invisible men est un véritable travail d’orfèvre, d’artisan cinéaste qui, du scénario à la photographie (splendide) prend tout en charge dans une volonté d’intégrité artistique.
A la fin, en écho à son Few of us (dont nous ne somme pas près d’oublier les incroyables dernières scènes, sous le regard ensorcelant de Katerina Golubeva), une scène de beuverie. Violente, tendue, interminable. Bref, crédible (avec Cassavetes, qui d’autre aura su filmer avec tant de maestria l’homme face à sa bouteille ?). On le savait déjà, chez Bartas on ne boit pas : on se bourre la gueule dans un élan bestial et primitif. Le film s’apparente alors à une procession de corps-fantômes. Exsangues, voûtés sous le poids de l’alcool et du péché. Déjà morts. C’est en prenant son envol vers ces sommets éthyliques que le film dévoile enfin toute sa portée élégiaque.
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