Les amours sont cruelles chez Laurent Mauvignier. Qu’ils soient les parents d’un enfant suicidé, une femme frustrée ou une épouse trompée, tous les personnages de son œuvre subissent, désarmés, une absence de réponse à leurs sentiments. Le héros de Seuls, le dernier roman de Mauvignier, n’échappe pas à cette implacable fatalité.

Tony aime Pauline. Depuis la plus tendre enfance, il a organisé sa vie au service de sa meilleure amie. Il recueille ses confidences et ses doutes, l’accompagne pour mieux la soutenir dans ses excès et ses peurs et l’écoute toujours avec constance et patience. Mais Tony a toujours tu son amour, de peur de perdre la confiance de Pauline.

Le retour de Pauline chez Tony après une longue absence offre un nouvel espoir à l’amoureux transi. Mais cette vie de couple est factice en dépit de la complicité et des souvenirs partagés. Le doute et la douleur torturent de nouveau Tony qui contemple les nouvelles affections de son amie sans mot dire.

Cette histoire d’amour déçu somme toute assez banale devient sous la plume de Mauvignier une tragédie aussi intense que les récits antiques. Seule la grisaille de l’urbanisme moderne remplace la lumière grecque. Les héros ne prennent jamais la parole. Les récitants ne sont autres en effet que le père de Tony et l’amant de Pauline qui assistent, impuissants, au déroulé du drame.

Laurent Mauvignier n’use pas de pages surabondantes pour expliquer la psychologie de ses personnages. Quelques détails choisis avec précision telle cette robe rouge des grands soirs de Pauline ou cet épi de cheveux graisseux de Tony suffisent pour imaginer ces personnages empêtrés dans leur mal-être.
Leurs douloureuses hésitations et les non-dits qui les accompagnent s’écoulent quant à eux dans de longues phrases sinueuses qui tissent un univers oppressant.

A l’image de ses précédents romans, Seuls illustre de nouveau la singularité d’écriture de Laurent Mauvignier et son talent à faire parler le silence pour mieux annoncer le drame à venir. Captivant.