Le 23 juillet 2004
- Acteur : Serge Reggiani
Serge Reggiani est mort le 23 juillet 2004. Retour sur une vie de tendresse, de douleur, d’humour et de nostalgie.
Serge Reggiani est mort le 23 juillet 2004. Retour sur une vie de tendresse, de douleur, d’humour et de nostalgie.
C’était lui, c’était l’Italien, vous savez, celui qui a fait tous les métiers : "voleur, équilibriste, maréchal des logis, comédien, braconnier, empereur et pianiste" [1] et demandait qu’on lui ouvre la porte. C’est à celle du paradis qu’il a frappé cette nuit après 82 ans de bons et loyaux services à la vie, aux femmes, à la tendresse, à la douleur, à l’humour et à la nostalgie. Il a fait bien des métiers en effet, cet Italien né à Reggio Emilia en 1922, arrivé en France huit ans plus tard dans les valises d’une famille anti-fasciste, à commencer par la boxe et un apprentissage dans la coiffure qui, par des chemins tortueux, le mènent au Conservatoire. Dès lors, c’est à la lumière des sunlights que se déroulera sa longue vie. Le cinéma en même temps que le théâtre le prennent dans leurs bras, jeune premier ténébreux des Portes de la nuit de Marcel Carné (1946), il trouve un de ses plus beaux rôles six ans plus tard avec Jacques Becker. Ce sera Casque d’or et une amitié à la vie à la mort avec Simone Signoret.
C’est grâce à cette amitié qu’il aborde la chanson. Il a un peu plus de quarante ans. Il vient de marquer de son empreinte deux chefs-d’œuvre tournés la même année 1962, Le doulos de Jean-Pierre Melville et Le guépard de Luchino Visconti. Il a joué pendant 420 représentations Les séquestrés d’Altona de Sartre au théâtre de l’Athénée, extraordinaire performance d’acteur. Chez le couple Signoret-Montand, il rencontre le producteur Jacques Canetti. Ce sera le tournant décisif. Pour son galop d’essai, Reggiani choisit Boris Vian. Dans la foulée de la sortie de cet album, Barbara, séduite, lui propose de faire la première partie de son tour de chant. Reggiani est lancé, il plaît à toutes les générations, ses chansons - maintenant écrites par Vidalie, Bessière, Dabadie, Moustaki, Gainsbourg, etc. - font un tabac dans les juke-boxes, ses prises de position à la veille de Mai-68 augmentent encore sa popularité. Artiste engagé, il collectionne les succès populaires, occupe à guichets fermés la scène de Bobino. Quinze années magnifiques, un album par an, des chansons inoubliables, des tournées à n’en plus finir, des festivals (comme le tout premier de Bourges, en 1977) et des films aussi : retour chez Melville avec L’armée des ombres (1969), et puis des rôles où il peut montrer son humour (Le chat et la souris, Le bon et les méchants de Claude Lelouch), ou le côté tendre de son personnage (Violette et François de Jacques Rouffio).
Après tous ces succès et ces joies professionnelles, c’est le drame. En 1980, son fils Stéphane se suicide. Chanteur lui aussi, qui n’aura jamais réussi à s’imposer dans l’ombre d’un père si talentueux. Dès lors, Reggiani utilisera la chanson comme antidote au malheur, à la déprime et à l’alcool, un album tous les deux ans environ et beaucoup de pépites rares, peut-être moins connues du grand public qui lui redemande toujours les mêmes chansons : Les loups sont entrés dans Paris, La femme qui est dans mon lit, Madame nostalgie, Ma liberté pour n’en citer que quelques-unes que chacun de nous peut fredonner de mémoire. Entre récitals, tournées et enregistrement, Reggiani a trouvé le temps, dans ses dernières années, de s’adonner à sa passion de la peinture. Déjà malade, il a dû renoncer à sa dernière série de concerts et son dernier album, Les adieux différés (1999) sonne aujourd’hui comme un adieu définitif. Nous prenons congé avec tendresse de cet homme de convictions, de ce saltimbanque blessé, de ce "métèque exemplaire" selon les mots de son ami Michel Piccoli. Ciao l’Italien, il nous plaît de penser que, cette nuit, lorsque tu as frappé à la porte, demandé qu’on t’ouvre, qu’il était temps, que tu n’en pouvais plus, "aprimi, aprimi la porta, io non ne posso proprio più", c’est Sacha [2] qui est venu t’ouvrir, sa guitare à la main, et qu’à l’heure qu’il est, alors que nous peinons sur ta nécro, vous êtes en train tous les deux de taper un bœuf d’enfer, là-haut, au-dessus des nuages, la sù, sopra le nùvole.
[1] L’Italien de Dabadie et Bernheim
[2] Sacha Distel a précédé d’un jour Serge Reggiani en nous quittant le 22 juillet 2004
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