Saturn Return T.1 - Akane Torikai - la chronique BD

Lorsque le récit s’engouffre dans le quotidien, il y a une volonté contemporaine d’aller au fond des choses, de fouiller, de triturer les tripes et l’âme, à l’instar de ce que l’autofiction a largement fait pour le roman. Pour le manga, il y a Akane Torikai. Clairement, l’autrice est passée maîtresse dans l’art de perturber, de mettre mal à l’aise, mais aussi d’intriguer et de distiller un désir inévitable de continuer. Ce premier tome de Saturn Return est charnu et charnel, avec des détails qui semblent insignifiants, d’une canette à une culotte, mais qui font sens mis côte à côte, se superposent pour donner du sens. Dans cette histoire, cela donne une autrice en mal d’inspiration après un premier succès littéraire, qui devait sauver un ancien ami mais que le suicide de ce dernier précipite à nouveau dans le chaos, sans qu’on sache si elle subit ou si elle engendre ce chaos. La nature ambivalente du personnage principal – doté d’un visage angélique – donne le tempo de ce seinen, où les figures masculines évoluent comme des marionnettes, comme si chacun, héroïne incluse, ne tenait qu’à un fil.

Akane Torikai / Akata

Chaque page amène un peu de cette tension, sans jamais en faire trop. Ainsi, le rêve – qui se confond avec un flash back – d’un pont suspendu, est une belle métaphore de ce récit : une pluie fine, un désert au milieu de la ville, un vide qui aspire... Le gris enlise les pages bien plus que le noir et blanc, et ainsi Torikai creuse-t-elle un sillon qui donne au manga une noblesse du quotidien, une vivacité étrange et inattendue, mais totalement ancrée dans cette époque, que le dessin transmet parfaitement. La palette graphique de la dessinatrice paraît au premier abord limitée mais celle-ci se décline en vérité comme celle d’un artiste, du portrait à la scène de vie.

Akane Torikai / Akata

D’un thème cru par certains moments, avec un dessin parfois cruel mais d’une élégance rare, Saturn Return devrait s’imposer comme une série référence après celle sur les non-dits et les abus.