Le 5 avril 2022
Moins connu que 48 heures ou Les guerriers de la nuit, mais non moins efficace, Sans retour de Walter Hill trace un lien entre Délivrance de John Boorman et Platoon d’Oliver Stone. Un film d’action tendu et maîtrisé de bout en bout, au discours percutant.
- Réalisateur : Walter Hill
- Acteurs : Keith Carradine, Fred Ward, Peter Coyote, Brion James, Powers Boothe, T.K. Carter
- Genre : Drame, Action, Thriller, Survival
- Nationalité : Américain
- Distributeur : A.M. Films
- Durée : 1h29mn
- Titre original : Southern Comfort
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 25 septembre 1981
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Résumé : En Louisiane, neuf gardes nationaux font une marche de reconnaissance en territoire cajun, au coeur d’une forêt épaisse et touffue. Tous sont équipés pour une expédition de courte durée et munis de balles à blanc. Pour traverser un marécage, ils empruntent une pirogue à quatre chasseurs cajuns qui les surprennent en flagrant délit.
Critique : 1981 : Ronald Reagan vient d’arriver au pouvoir et Rambo n’est pas encore sorti sur les écrans. La mauvaise conscience de l’Amérique, symbolisée par le bourbier vietnamien, est encore balbutiante. C’est dans cet entre-deux que s’exprime Sans retour de Walter Hill, à la fois étude au scalpel sur la dislocation du groupe et allégorie post-Vietnam sur les dérives de l’impérialisme américain.
Le postulat de départ est à la fois simple et original : pas de vraie guerre ici, mais une simple troupe de militaires de réserve, sans expérience ni science du combat, confrontée à la violence d’une population autochtone lors d’un exercice de routine.
- © 1981 Cinema Group. Tous droits réservés.
D’emblée, Walter Hill pose les deux piliers qui feront toute la force de son film.
D’abord, ce groupe hétéroclite de jeunes types remplis de testostérone, embarqués malgré eux dans une mission dont ils se foutent complètement. Une belle brochette de jeunes acteurs (Peter Coyote, Keith Carradine, Powers Boothe, Fred Ward…), dont certaines gueules traverseront longtemps le cinéma américain. En quelques minutes d’une scène pré-générique simple et efficace, les caractères et les personnalités sont identifiés. Ils joueront un rôle fondamental par la suite.
Tout comme ce paysage oppressant et moite, partagé entre des marais nauséabonds et des arbres gigantesques. Un personnage à part entière, dont la présence écrasante accentue l’effet délétère de cette mission qui tourne au fiasco. Dans ce groupe de militaires disparates et chauffés à blanc, un tel environnement ne peut qu’entraîner les conflits, la bêtise, et la violence.
Perdus, les nerfs mis à vifs par le climat, les hommes perdent le sens de leur mission et ne pensent qu’à là terminer au plus vite. C’est alors qu’ils volent des barques afin de rejoindre le point de ralliement.
Un événement banal en apparence mais qui entraînera leur chute. Car ces barques appartiennent aux habitants de cette région inhospitalière (les Cajuns) qui, légitimement, s’approchent du rivage. Alors que certains cherchent à créer le dialogue et sont prêts à ramener les barques, un des soldats s’amuse à tirer des balles à blanc dans leur direction.
À ce stade, il faut noter l’intelligence du scénario, qui se refuse à tout manichéisme. Car dans ce groupe de neuf militaires, les personnalités et les avis divergent, entre ceux respectueux d’autrui et les autres dont le comportement stupide mettra le feu aux poudres.
Ce sont eux, forts de leur supposée puissance, qui convaincront les autres de voler les barques et, quelques instants plus tard, déclencheront les hostilités, à la fois par bêtise et volonté d’humilier les Cajuns.
Une erreur aux conséquences terribles : apeurés par les tirs, ces derniers ripostent et tuent le plus haut gradé, entraînant la panique dans le groupe.
Walter Hill fait ici preuve d’une vraie maestria. D’abord filmé en plans larges, le mouvement des barques sur l’eau évoque une déambulation paisible, malgré la menace qui rode. Puis la caméra se rapproche peu à peu, scrute les visages, jusqu’à ce superbe ralenti lorsque la balle frappe la tête de Poole. Le choc est violent, les hommes tombent dans l’eau et se débattent, le film basculant alors complètement dans le chaos.
Car les Cajuns n’en ont pas fini avec eux. Touchés au cœur de leur territoire, ils sont bien décidés à poursuivre les intrus jusqu’au bout, qui eux n’ont aucun moyen de se défendre.
Commence alors une longue traque, qui plonge le film dans un survival oppressant et haletant.
- © 1981 Cinema Group. Tous droits réservés.
La mise en scène nerveuse créé une ambiance poisseuse et paranoïaque, sans aucun espoir pour les protagonistes. Le spectateur ressent littéralement le bayou se refermer sur eux, tandis que la violence des Cajuns se déchaîne. La scène qui ponctue l’assaut final est une nouvelle fois magistrale. Walter Hill filme avec une énergie incroyable ces pauvres gus qui courent comme des lapins au milieu de l’eau et des arbres, décimés par un ennemi invisible et sans pitié qui, bien avant Rambo, utilise la nature comme une arme redoutable.
L’intelligence de Walter Hill va bien au-delà de la simple efficacité dans l’enchaînement des plans. Car cette mise en scène de l’action ne se contente pas de rythmer le film : elle accompagne l’évolution des personnages et offre une étude sans concession des comportements humains. Au fur et à mesure de cette traque implacable, le groupe se désagrège, miné par la violence extérieure des Cajuns et celle, intérieure, des conflits engendrés par folie et la peur…) [1]
Mais au fond, finalement, qui sont ces autochtones ? Des sauvages assoiffés de sang, dont le seul but est de tuer sauvagement tout étranger ? Ou des paysans, somme toute assez paisibles, qui aspirent à vivre tranquillement mais capables de se révolter si l’on attaque leur territoire ?
Pour Walter Hill, c’est bien entendu la seconde option qui prime (« This is our home and nobody don’t fuck with us », déclarera d’ailleurs l’un d’entre eux) ; et si les torts semblent partagés dans le déchaînement de violence, c’est bien le comportement initial des soldats qui déclenche les hostilités.
Le dernier quart d’heure du film enfonce le clou et, derrière une accalmie de façade, atteint une vraie puissance hypnotique. Une séquence montée avec une virtuosité incroyable et dans laquelle la tension atteint son paroxysme.
Le spectateur est emporté avec les derniers protagonistes dans un déferlement d’images et de sons, dans lequel se mêlent danse traditionnelle au rythme endiablé, sacrifice d’animaux, et combat au corps-à-corps, avant une image finale d’une douloureuse ironie.
Le message est clair : derrière l’arrogance de ces militaires de pacotille se cache celle des gouvernements américains à l’égard des pays qu’ils considèrent comme à leur botte et dont Reagan fut l’un des pires emblèmes. On n’empiète pas impunément sur le territoire d’autrui !
[1] Une impression renforcée par des conditions de tournage éprouvantes pour l’équipe du film, près de deux mois en conditions réelles, dans l’eau et la moiteur du bayou.
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