Traduit par Adonis et A.W Minkowski
Le 25 décembre 2024
- Date de sortie : 1er janvier 1988
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
Ma’arri (973-1057), traduit en français par Adonis, propose une poésie philosophique captivante de beauté, surprenante de subversion.
Résumé : La superbe traduction d’Adonis donne à voir un poète, Abu l Ala al-Ma’arri, déconcertant de noirceur et de modernité.
Critique : A l’époque de Ma’arri (973-1057), de son nom complet Abu l Ala al-Ma’arri, la poésie en arabe a déjà connu de grandes heures, notamment de tradition orale. Trois siècles après l’avènement de l’Islam en terres arabes, ce jeune homme inscrira son nom parmi les géants de cette littérature millénaire, orfèvre d’une langue qu’il ne peut lire. Pour cause, l’enfant Ma’arri souffre de la variole dès ses cinq ans, ce qui lui enlève la vue et occasionne une première croisée des chemins : sans doute marqué par l’injustice d’une telle condition, l’auteur développe un pessimisme latent, qui sera une de ses marques de fabrique. Quand tant d’auteurs arabes ont chanté les louanges de l’amour et de la nature, Ma’arri, lui, n’offre rien d’autre que noirceur et désenchantement dès son plus jeune âge. A l’image du plus connu des manieurs de l’arabe, son cadet Mutanabbî (915-965), qui affichait lui aussi un pessimisme marqué par les ravages de sa ville natale de Kûfa, Ma’arri loue le désespoir et répand l’amour de la mort.
Pourtant, le poète syrien, né au sud d’Alep dans le village de Ma’arrat d’où est tiré son nom, apporte au monde un verbe d’une beauté et d’une profondeur insondables. Voilà plus de mille ans que ses vers nous étaient inaccessibles, en Occident, jusqu’à cette traduction d’Adonis, poète syrien contemporain régulièrement cité comme candidat au Prix Nobel de littérature, dans les années 1980. Le même Adonis qui, dans Al-Kitâb (Seuil, 2007), organisait, éditorialisait et répandait la parole de Muatanabbî. Dans Rets d’Eternité, il nous offre les vers des Nécessités (Luzûmiyyât) de Ma’arri, à travers une langue qu’il jure être proche de l’originale, parfaite de limpidité.
Cette traduction flamboyante révèle les caractéristiques majeures de Ma’arri avec force talent. D’abord, son dédain, ou sa pitié profonde pour l’être humain. L’Homme ne serait bon d’aucune façon, ne peut être sauvé : il retournera à la poussière dans un geste de soulagement. Pire, il ferait mieux de ne pas naître :
Malheur à toi, ô enfant ! N’apparais point
Et meurs plutôt de chagrin !
Au cœur de ces considérations noires et désenchantées se dessinent quelques règles de vie, qui conduisent à voir ces Rets d’éternité comme un guide spirituel autant qu’un recueil de poésie. L’antinatalisme, donc, qu’il érige en vertu salvatrice. L’ascétisme, aussi, une notion qui revient souvent au fil de ses vers. Ma’arri préconise une vie simple, loin de toute abondance qu’il juge inutile. Lui-même vivait reclus, se nourrissait uniquement de figues et de lentilles, mettant en pratique sa philosophie, à en croire l’introduction concise, mais complète d’Anne Wade Minkowski.
Reste son caractère hautement subversif. Ma’arri était profondément défiant vis-à-vis de la religion, en premier lieu envers l’Islam, dans laquelle il baignait au sein de la Syrie du dixième siècle. Tournant les responsables religieux et leurs discours en ridicule, visant même le Créateur, Ma’arri interpelle jusqu’à notre époque. Son agnostisme surprend, mais explique que Ma’arri soit une grande voix de la langue arabe sans être rattaché à l’Islam, quand de nombreux autres auteurs associaient les deux.
Une inflexion, tout de même, dans le marasme ambiant, pour donner envie d’ouvrir ce cadeau que sont ces Rets d’éternité. La beauté, évidente, des vers de Ma’arri, empêche de désespérer tout à fait. Leur simplicité également. Et quelques rais de lumière traversent cette poussière lourde : quand l’auteur décrète que l’humain est de mauvaise nature, il affirme par exemple que l’âme, de nature bonne, est corrompue par le corps, ce qui laisse un espoir au-delà de notre existence physique. De plus, la vertu humaine serait simplement rare. On pourrait donc affirmer qu’elle n’est pas tout à fait inexistante :
Si parmi nous une personne se distingue par sa vertu,
Elle sera la rareté.
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.