Le 21 janvier 2004
Avec le "Jeu", Vincent Ravalec précise son objectif littéraire et sa vision mystique de la vie moderne. Explications...
Vincent Ravalec précise, depuis quelques années, son objectif littéraire et sa vision mystique de la vie moderne. En lançant le "Jeu", avec Effacement progressif des consignes de sécurité, il donne un nouvel élan à son écriture et lorgne sur l’universalité interactive de la création. Explications...
Vous vous êtes lancé dans un véritable défi littéraire, qui est en même temps une sorte de balisage des vingt prochaines années de votre vie. Est-ce que cela ne vous fait pas peur, ou au contraire avez-vous besoin de cette rigueur pour travailler ?
Ni l’un ni l’autre ! J’essaie d’expérimenter différentes facettes de l’existence et j’ai besoin de les mettre en forme de façon artistique. Mes expériences nourrissent mon champ artistique et mon champ artistique me permet de vivre ces expériences de manière cohérente. C’est une espèce de machine que j’ai construite, et cette machine s’autogénère. C’est ce qui me permet d’avancer.
C’est tout de même un cadre rigide...
Pas du tout ! Au contraire. Le cadre est évolutif. Je n’ai pas un plan avec des trucs obligatoires à faire. C’est un cadre suffisamment lâche, souple, et dans lequel je peux moduler des choses à ma guise. Les thèmes des romans ont évolué entre le début et maintenant. Enfin en réalité, ça n’a pas tellement évolué, mais ça pourrait évoluer. Je n’ai pas d’idée préconçue sur ce que je fais. Sinon, ça n’aurait plus de sens. L’essence même du projet est justement d’être modulable. C’est tout son charme.
D’ailleurs, j’ai un peu d’avance par rapport au programme. Deux livres vont encore sortir. Un recueil de poésie et un livre d’ethnologie. Voyez, ce n’est pas rigide. Ça me sert de trame.
Votre projet évoque celui de Bartlebooth, le personnage de Perec, dans La vie mode d’emploi. Est-ce que c’est un de vos auteurs de référence ?
Ça m’intéresse mais ce n’est pas une de mes références. On m’en a déjà parlé, à propos d’autres livres. J’ai commencé La vie mode d’emploi il y a peu de temps.
Vous avez écrit beaucoup de nouvelles, mettant en scène des personnages un peu paumés, emportés par des expériences, mystiques ou autres, qui les élèvent et les distinguent des autres, leur confèrent une dimension christique. Pensez-vous que cette expérience soit nécessaire pour se construire ?
Je ne vois pas comment on peut faire autrement. L’expérience mystique est quotidienne. C’est une étape dans la progression de l’être vers une conscience, vers des possibilités plus accrues de l’existence, vers une meilleure compréhension de l’univers. C’est pour ça que l’époque actuelle est très intéressante, parce que si on la regarde avec un regard mystique, elle prend tout son sens.
C’est indispensable de donner du sens aux choses.
Ou alors, on baigne dans un état extatique, mais peut-il durer indéfiniment ? Comme les gens qui vivent dans des états très profonds, comme la méditation. Pour moi, l’idéal est de passer par tous les états possibles.
Vous incluez dans cette expériences, les expériences de drogue, etc... tout ce qui tourne autour de états modifiés de la conscience ?
Ça dépend ce qu’on appelle drogue. Les états modifiés de conscience, ça recouvre beaucoup de choses. La méditation est un état modifié de conscience, la prière aussi, quand on écrit, quand on lit... La vie moderne, c’est un état modifié de la conscience. On y reçoit un certain nombre de signes qui ne sont pas les même que lorsqu’on est dans la nature. Après,on peut les percevoir ou non. On peut être dans un état modifié de conscience sans le savoir. Pour ce qui est des produits, l’héroïne provoque un état végétatif, par contre, pour les psychotropes utilisés dans un cadre initiatique, c’est totalement différent. Ils vous mettent face à vous-même, vous montrent un autre aspect de la réalité, et en plus, l’expérience n’est jamais la même. Ce qui est différent, avec l’héroïne ou l’alcool. Une fois que vous êtes bourré, vous êtes bourré, une fois que vous êtes shooté, vous êtes shooté ! Avec les psychotropes initiatiques, c’est différent, parce qu’à chaque fois c’est un enseignement. Et si c’était toujours le même, il n’aurait pas besoin d’être répété.
Le personnage de Louis, dans L’effacement, passe la majeure partie de l’histoire dans un état modifié de conscience...
Le personnage de Louis est submergé. Il y a les psychotropes, la vie moderne, la paranoïa... L’effacement correspondait pour moi à des choses que je vivais, c’était donc une manière de les mettre en forme, de les codifier. Dans Wendy², les choses sont plus calmes. Pour le lecteur, ce sera plus accessible que L’effacement.
Vous avez un ton assez critique vis à vis des expériences alternatives pseudo-mystiques...
Je suis plus moqueur que critique. Ce n’est pas méchant. Ces expériences, je les ai vécues. Je trouve ça très cocasse, mais ça ne m’empêche pas de faire du zen. Ce n’est pas parce que l’expérience a des côtés dont on peut rire qu’elle n’est pas bonne. Elle peut être bonne à certains moments de sa progression et à d’autres ne plus avoir de sens. Mais moi aussi on peut me faire croire n’importe quoi. On est bêtes. Si on était intelligents, on n’aurait pas besoin de ces expériences. Je ne fais que constater mon degré de connerie jour après jour. La vérité, c’est qu’on est des singes légèrement modifiés ! Donc, autant être pragmatiques.
Qu’est-ce qui vous intéresse spécialement dans cet espace border line où on frôle la folie ?
Nous nageons dedans. Quand on ouvre les journaux, c’est un hôpital psychiatrique. C’est là dedans que nous pouvons nous connaître. La normalité n’apporte pas de réponse à nos questions. La réponse est dans les extrêmes.
Et Internet ? C’est le jeu ou la réalité ?
Internet, c’est la première fois que les consciences sont en relation. C’est à la fois virtuel et réel. Il y a une trace dans la matière. Internet existe physiquement. La personne qui vous parle est incarnée. Elle reçoit les messages, lit avec ses yeux. Ce n’est pas un rêve. C’est de la communication.
Propos recueillis le 6 janvier 2004
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