My own private odyssée
Le 8 février 2005
L’adaptation d’Ulysse pour le grand écran aurait-elle été l’odyssée de Sean Walsh ?
- Réalisateur : Sean Walsh
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Dix ans de sa vie, huit cents versions différentes pour le scénario. De la sueur et des larmes. L’adaptation d’Ulysse pour le grand écran aurait-elle été l’odyssée de Sean Walsh ?
Quelle dose d’ambition, de courage et d’inconscience faut-il pour décider d’adapter Ulysse de Joyce à l’écran ?
Certainement beaucoup d’inconscience ! Heureusement pour moi, quand je me suis lancé dans ce projet il y a dix ans, j’ignorais combien ce serait difficile. Je ne me doutais pas de la passion qui entourait cette œuvre et de sa place toute particulière dans la littérature. Mon envie d’adapter Ulysse est née du constat suivant : comment un roman peut-il être considéré unanimement comme l’ouvrage le plus important du XXe siècle sans que personne que je connaisse ait jamais dépassé la page 6 ? C’est absurde que personne n’ait idée de ce que contient ce livre. Je voulais le rendre accessible, en donner un aperçu.
Un film peut-il rendre justice à un tel roman ?
Joyce est très connu et très populaire en Irlande mais peu de personnes ont lu son œuvre, particulièrement Ulysse ou Finnegan’s Wake. J’ai été frappé par la réaction des gens qui ont travaillé sur le film. Tous me disaient : "Je n’aurais jamais cru que le livre ressemblait à ça, que ça parlait de sexe et de masturbation et de toutes ces choses réjouissantes !". Et ils concluaient : "Je vais me replonger dedans !". Je ne suis pas libraire, je ne cherche pas non plus à vulgariser Ulysse, mais j’ai été vraiment marqué par ce paradoxe. Si je permet aux gens de découvrir Joyce, tant mieux. C’était un génie, très en avance sur son temps.
Vous dites avoir écrit plus de huit cents scénarios. Comment votre vision du film a-t-elle évolué en dix ans ?
L’écriture du scénario a pris beaucoup de temps. J’ai lu, relu et relu chaque chapitre pour en retirer ce qui me paraissait fondamental : l’incroyable humanité de l’histoire de Molly et Bloom, l’intelligence de l’écriture et de la structure, la puissance comique du roman. Ensuite il a fallu réduire les six heures de script initiales. Ça a été un supplice de compresser, d’écarter ou de déplacer certains passages car Joyce est tellement précis et méticuleux dans ses mots que j’agonisais à chaque paragraphe de peur de trahir son œuvre. Ce qui est particulièrement délicat avec Ulysse, c’est qu’il y a tant de couches et une structure tellement complexe que quand vous déplacez quelque chose, il faut se méfier de l’effet "papillon" : tout peut s’effondrer. Comme dans le roman, si vous revoyez trois ou quatre fois le film, vous remarquerez que tel mot renvoie exactement à un autre rencontré précédemment.
Quelle part a joué la littérature critique sur Joyce et Ulysse dans l’écriture du scénario ?
Je n’ai lu aucun ouvrage de référence. L’approche des critiques est très académique et technique alors que je voulais mettre en valeur l’humanité et l’humour de Joyce. Surtout, je ne voulais pas être influencé. Joyce était un génie, son œuvre est remarquable et il est indispensable de la respecter. Néanmoins il ne faut pas être trop révérencieux. Certains critiques m’ont reproché le fait que Stephen Dedalus marchait dans la mauvaise direction sur la plage. Qu’est-ce que ça peut faire ? C’est ridicule... Je suis tout fait conscient du parallèle homérique mais je n’ai pas cherché à m’y conformer. Ce qui comptait, c’était de révéler l’essence du roman, mettre en évidence certaines des techniques et des astuces littéraires de Joyce. Cela dit, je n’ai pas complètement fait l’impasse sur Homère. Durant l’épisode du Cyclope, dans le pub, un des acteurs portait un cache sur l’œil, sans que cette allusion ne nuise à l’ensemble.
Dans l’ensemble, vous êtes resté très fidèle au texte de Joyce. Pourquoi avoir néanmoins choisi de placer une partie du long soliloque de Molly en ouverture et l’autre en conclusion du film ?
Pendant longtemps j’ai placé ce monologue à la fin du script, c’est-à-dire comme dans le roman. Les mots de Molly sont prodigieux et sidérants, mais le problème pour le spectateur, c’est que nous ne faisions connaissance de cette femme incroyable qu’à la fin du film et je trouvais ça dommage. Par ailleurs, couper le monologue en deux le rendait plus digeste. Enfin, Molly apporte un éclairage utile dès le début, car il faut dire qu’Ulysse est une œuvre extrêmement complexe. Une adaptation cinématographique ne saurait simplifier le propos de Joyce, cela reviendrait à le dénaturer. Par contre, l’intervention de Molly peut aider le spectateur à rentrer dans son univers. Et pour être honnête, c’est mon passage préféré du roman. Ces mots, leur rythme - et l’interprétation d’Angeline Ball est magistrale - vous pouvez ressentir ce qu’est une femme. Joyce a été le premier à mettre de cette façon les pensées intimes d’une femme sur papier. C’était incroyablement courageux et dangereux.
A la fin du film, on voit Bloom s’éloigner dans un Dublin moderne. Par ce parti pris, vous insistez sur l’incroyable modernité de l’œuvre. Quelle résonance a-t-elle selon vous aujourd’hui ?
J’ai d’abord pensé adapter l’œuvre dans un Dublin contemporain tant elle est moderne. Finalement, je crois que la modernité de l’œuvre est encore plus flagrante avec des personnages, des décors et des costumes qui datent d’un siècle. Les problèmes liés à la moralité, le racisme, la question juive, le sexe, la réalité du mariage - deux personnes qui malgré un amour réciproque s’éloignent à cause de la mort d’un enfant et du temps qui les use - c’est l’essence d’Ulysse. Le génie de Joyce, c’est de faire éclater ces vérités profondes.
Entretien réalisé le 26 janvier 2005 à la librairie Shakespeare & Co, à Paris
Pour en savoir plus :
– Lire notre critique du film de Sean Walsh
– Consulter notre dossier James Joyce
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