Les entretiens aVoir-aLire
Le 5 septembre 2006
Il viennent de réaliser leur premier long métarage, une réussite. Rencontre avec Valerie Faris et Jonathan Dayton.
- Réalisateurs : Jonathan Dayton - Valerie Faris
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Clipeurs pour les Red Hot, REM et beaucoup d’autres, réalisateurs de pubs multi MTV awardisés et emmyisés, Valerie Faris et Jonathan Dayton réalisent, en couple comme toujours, leur premier long, Little Miss Sunshine. Une réussite.
Vous venez de la pub et du clip, mais votre film n’en a pas du tout la forme. Au contraire, il est très sobre visuellement. Pourquoi ?
Valerie Faris : Nous nous intéressons avant tout à l’histoire et aux personnages, pas à la forme. Nous ne voulions pas passer plusieurs années de notre vie et 1h30 de notre travail le plus long à faire du style. Si l’histoire était plus abstraite, alors peut-être aurions-nous fait les choses différemment.
Jonathan Dayton : Le style fait aussi trop souvent fuir les spectateurs, ou attire une certaine catégorie de cinéphiles, mais, quoiqu’il en soit, il porte préjudice aux émotions...
V.F. :... pas toujours !
J.D. : Certes, mais dans le cas de Little Miss Sunshine, nous voulions qu’il n’y ai absolument rien entre le spectateur et les personnages. Nous avons eu mille occasions de travailler notre style dans nos pubs. Nous n’avions pas besoin d’un film pour prouver ou essayer quoi que ce soit.
De quoi vouliez-vous parler dans ce film ?
V.F. : Avant tout d’êtres humains, de personnages. Il y a trop de films où les personnages sont stupides, méchants, m’agacent profondément. On voulait parler de personnes attachantes. Nous avons tout de suite aimé la famille Hoover. Peu importe qu’ils soient un peu barrés, leurs décisions, leurs relations, leur monde est complexe, riche, loin de l’univers plat de certaines histoires.
J.D. : C’est un portrait atypique d’une famille américaine, plein de petits détails vivants.
Sont-ils des vainqueurs ou des losers ?
J.D. : Ce qui compte, c’est qu’ils arrivent en fin de compte à refuser d’être jugés par les gens qui les entourent. Au Etats-Unis, il faut toujours être soit un loser, soit un vainqueur. Personne n’aurait idée de rejeter cette catégorisation. Pour nous, une vie vaut pour ses expériences, pas pour la valeur que les autres lui accordent. Les journaux américains ont parlé de Little Miss Sunshine comme d’une apologie du loser, ce qui est une erreur.
V.F. : Au début, les Hoover se voient comme des losers, c’est sûr, mais à la fin, ils rejettent la notion même de compétition, et donc de vainqueur et de perdant. Ils ne pensent plus qu’à une chose : s’amuser. Ils incarnent aussi ce sentiment qu’on a souvent de ne pas être satisfait avec sa vie, et de sentir que les choses doivent être chamboulées.
Finalement, ils ont l’air plutôt intelligents, comparé, notamment, aux gens qui fréquentent le concours de beauté qui conclut le film. Être intelligent, est-ce être un loser aux Etat-Unis ?
V.F. : Du point de vue de notre président, certainement ! (Rires.) Peut-être que l’intelligence des Hoover, c’est leur capacité à ne pas se laisser juger... en fait, le plus important, c’est de faire ce qui nous plaît parce qu’on aime ça, pas parce que les autres le font et nous poussent à le faire. Il faut être indépendant.
J.D. : Dans notre culture, on nous apprend qu’en essayant, en persévérant, on arrive toujours à ses fins, que l’Amérique est une terre d’opportunités. Si tu veux devenir président, tu y arriveras ! Mais la vérité, c’est que la plupart des gens restent sur le carreau. Nous avons voulu faire un film qui célèbre la richesse des expériences et la liberté de chacun de se défaire des jugements et du contexte social qui nous entoure, la compétition.
V.F. : Ce qui compte finalement pour les Hoover, ce n’est pas la destination, le concours de beauté, mais la route qui y mène, et l’impact qu’elle va avoir sur leur vie.
Little Miss Sunshine est-il une sorte d’hymne à la liberté ?
V.F. : Dwayne, le fils, dit à un moment : "Fais ce qu’il te plaît, et le reste, on s’en tape." Voilà, en gros, la morale de l’histoire. Ce n’est pas le seul message du film. C’est aussi l’histoire de personnages qui essayent de s’en sortir, qui tentent leur chance, qui se battent pour quelque chose qui n’est pas forcement du goût de tous, mais qu’ils aiment. Même s’ils n’y arrivent pas, il y a une beauté dans leur persévérance que nous aimons beaucoup. Et finalement, c’est un peu notre histoire : nous voulions faire un film qui nous ressemble, qu’on aime, pas un candidat aux Oscars.
Pourquoi avoir fait un film, vous qui étiez plébiscités dans la pub ?
J.D. : Pour la liberté ! Quand on travaille sur une pub, il y a toujours quelqu’un pour regarder par-dessus notre épaule ; il faut toujours attendre le feu vert de la boîte pour laquelle on bosse, etc.
V.F. : Même pour les clips musicaux, qu’on adore faire, ça reste l’image de quelqu’un d’autre, son monde, pas le tien. C’est un peu frustrant, et en plus ça ne dure que trois minutes... avec un long métrage, c’est différent. Néanmoins, même si j’adore ce qu’on a fait, j’ai parfois des remords. Je me dis qu’on aurait peut-être dû faire quelque chose de plus révolutionnaire...
J.D. : C’est vrai qu’on aime beaucoup Godard ou Bunuel, et Little Miss Sunshine n’apporte rien à l’histoire du cinéma... j’aimerais faire quelque chose de plus expérimental, mais aux Etats-Unis, c’est de plus en plus dur d’avoir les clefs pour ce genre de cinéma...
V.F : Faire ce film, c’était enfin pour nous le meilleur moyen de dénoncer ces pseudo valeurs familiales dont Bush nous soûle à longueur de journée, qui ne sont en fait que des arguments politiques, et cette Amérique qui n’aime pas les homos, ultra religieuse et bien pensante.
Propos recueillis à Paris le 25 août 2006
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