Le 30 décembre 2018
- Scénariste : Johann G. Louis
- Dessinateur : Johann G. Louis
- Genre : Biographie, Musique
- Editeur : Nada éditions
- Date de sortie : 13 septembre 2018
Le livre de Johann G. Louis est un immense hommage à une chanteuse connue la plupart du temps pour son titre La Java bleue. Or, Fréhel a été bien plus qu’une voix du Paris populaire...
Jeune fille à l’enfance misérable, elle se fit entendre grâce à son timbre particulier en écumant les bars de Pigalle avec ses chansons.
La bande dessinée de Johann G. Louis est peuplée de fantômes, naviguant sur la période de l’entre-deux-guerres, l’entre deux mondes, entre industrialisation et misérabilisme humain.
Fréhel scandait déjà dans Où est-il donc ?, la destruction de sa capitale dont les terrains vagues de Belleville disparaissaient au rythme des constructions massives.
Elle fut l’une des premières artistes à enregistrer un 78 tours à contre cœur, mais ce qu’elle préférait, c’était les lieux ou elle pouvait s’exprimer spontanément et au contact direct des gens.
Elle tenait à son répertoire, sa façon de chanter, sa mise en scène qui lui était propre, même si son hygiène de vie ne l’était pas vraiment…
L’histoire devient plus dense en paroles de chansons proportionnellement à la silhouette de la chanteuse qui ne se refuse aucun excès.
Fréhel ne cachait pas son instabilité et en jouait même pour les besoins de la scène.
Les paroles de chanson se confondent aux dialogues, tout comme l’existence de l’artiste qui jouait la sienne au travers de ses prestations en vraie dramaturge.
Ce roman graphique est un ouragan de vie, comme l’était celle de Fréhel.
Un autre point positif de l’ouvrage est aussi son traitement chronologique qui permet de se retrouver dans la vie cyclothymique de la chanteuse !
Une des chanson de Fréhel J’n’attends plus rien se termine par "je crèverai dans ma détresse" … un statut que Johann G. Louis a su parfaitement retranscrire avec toute la pudeur et la douceur de son trait.
RENCONTRE AVEC L’AUTEUR
Il nous a donné rendez-vous à "La fourmi" au cœur de Pigalle - le quartier de prédilection de Fréhel ou elle passa une grande partie de sa vie - dans l’un des plus vieux bar du quartier, ou la chanteuse a sûrement poussé ici la chansonnette.
Johann G. Louis, l’auteur de l’énorme ouvrage consacré à la chanteuse nous attend.
Silhouette longiligne, cheveux bruns, un anneau à l’oreille droite et une boucle simple à l’oreille gauche, le geste fin et les yeux sincères, habité par son héroïne, le jeune homme nous a accordé un entretien autour de son roman graphique "Fréhel" paru en septembre dernier chez Nada, et dans un emploi du temps chargé, mais cajolé par une multitude de femmes.
Comment vous est venu l’idée de faire un livre sur cette chanteuse en particulier ?
Après mon premier roman graphique Shelley. Après l’autruche, tournez à droite je cherchais un nouveau sujet.
Je suis tombé sur un article d’Ici Paris sur internet, qui racontait l’histoire d’une clocharde qui s’était affalée au pied d’un arbre à Pigalle et qui n’était autre que Fréhel !
C’est d’ailleurs sur cette anecdote que mon livre débute.
J’ai mis trois ans à dessiner et écrire l’histoire de la vie de cette figure de la chanson dite "réaliste".
Vous dédiez bien entendu votre ouvrage à Fréhel mais aussi à l’actrice américaine Shelley Duvall. Pour quelles raisons ?
J’avais écrit une histoire inspiré de Shelley Duvall parce que je suis passionné par les figures féminines déchues et j’adore Shelley Duvall en tant qu’actrice.
Je fais uniquement des portraits de femmes : on choisit des personnages qui nous renvoient, nous parlent, nous touchent ... j’ai, par exemple, autour de moi, beaucoup de figures féminines. J’ai grandi dans un environnement exclusivement féminin…
J’ai aussi réalisé un court métrage intitulé "Mrs Aylwood ne veut pas mourir" diffusé sur France 3 en 2014, l’histoire de Susan Aylwood, ancienne vedette du cinéma, qui vit recluse dans son Manoir, pensant toujours être en pleine gloire…
Je prépare en ce moment un court métrage sur une femme trans, cela me semble une sujet très important... Pour moi, c’est un acte à la fois politique et féministe.
Nous sommes dans un combat permanent et surtout aujourd’hui et il faut rester vigilant !
Fréhel je l’ai dessinée sous tous ces aspects, dans toute sa complexité, j’ai voulu faire un portrait nuancé.
Je devais la trouver, la rencontrer, j’ai lu tout ce que j’ai pu sur elle : romans, biographies, témoignages, articles, j’ai épluché toutes les photos et peintures possibles, vu tous les films dans lesquels elle a joués (17 au total) et notamment Pépé le Moko.
Ce film est très touchant... Fréhel y joue une scène qui est une véritable mise en abîme. Elle y interprète sa propre histoire, celle d’une vedette déchue et j’ai d’ailleurs dessiné cette partie dans mon livre, traduisant les propos mot pour mot. C’est un passage des plus émouvants du cinéma français.
Quand Fréhel joue, elle est elle-même, quand elle rit, on sent qu’il y a toujours une petite fille en elle.
Qu’avait Fréhel de plus que les autres chanteuses de son époque telles que Mistinguett, Lucienne Delyle, Damia…
Mistinguett est l’antithèse de Fréhel ! Elle est dans le consumérisme. Après la première guerre mondiale, Mistinguett interprétait la joie de vivre dans une ville lumière, elle chantait le début de la société de consommation tandis que Fréhel incarne des personnages prisonniers de leur condition sociale, de leur misère.
Fréhel est l’âme la plus authentique de la chanson réaliste.
Fréhel chante le peuple, elle parle des laisser pour compte, des gens de petite vertu, de là où elle venait, elle s’impliquait beaucoup dans ses chansons.
Elle a aussi vécu des événements malheureux : elle a dû laisser son enfant en nourrice (mort à l’âge de 3 ans), l’homme qu’elle aimait, parti au front, y perd la vie rapidement. Elle part ensuite en Russie, puis est rapatriée par le ministère des affaires étrangères, mais s’arrête en Turquie, plaque tournante de la cocaïne dont elle était devenue accroc…
Fréhel était une artiste de l’entre-deux-guerres, entre deux époques. Êtes-vous vous-même nostalgique ?
Je suis très nostalgique et passéiste, c’est très dur de tomber dans l’oubli.
Fréhel n’est jamais vraiment tombée dans l’oubli, elle a toujours été une star de son vivant jusque en 1951. Elle est encore aujourd’hui une référence.
Je me suis beaucoup questionné : comment fait-on pour vivre avec un passé aussi important et envahissant ?
J’aime cette époque de la chanson réaliste, et également ce qui fut les prémices de la chanson réaliste notamment ce qu’on appelle les pierreuses, comme Eugénie Buffet, qui fut l’une des premières chanteuses à reprendre des textes d’Aristide Bruant.
Quel est votre prochain projet ?
Je vais tourner en janvier prochain, une fiction sur une femme trans qui retrouve sa mère.
J’ai d’autres idées de romans graphiques, comme le portrait d’une femme inspiré d’une histoire vraie que j’aimerais adapter ensuite en long métrage. La frontière entre roman graphique et films est mince.
J’adore le roman graphique qui reste pour moi un outil plus simple que de monter des projets de cinéma. On a cette immédiateté qu’on n’a pas dans le cinéma. J’aime parler des gens. Je me nourris beaucoup en observant.
Et la BD me permet de faire vivre mes personnages rapidement à travers le dessin. Pour Fréhel je n’ai pas fait de scénario, j’ai accumulé les recherches et j’ai ensuite fait une longue frise que j’ai développée. Cela me permettait d’avoir une vue d’ensemble. J’ai travaillé comme un monteur. J’ai sélectionné ce qui me permettait de mieux cerner mon personnage. Quand je dessinais, j’étais avec Fréhel... j’étais entièrement elle quand j’écrivais les dialogues...
Postface de Olivier Bailly
188 pages - 29,90 €
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.