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Le 8 octobre 2002
Le réalisateur emblématique d’un certain cinéma argentin qui, depuis trente, construit une œuvre inclassable.
- Réalisateur : Hugo Santiago
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Réalisateur emblématique d’un certain cinéma argentin, Hugo Santiago construit depuis plus de trente ans une œuvre unique, inclassable, explorant les limites de l’image dans son rapport à d’autres formes d’art. Son dernier film, Le loup de la côte ouest, sera sur les écrans en décembre, mais ce qui fait l’événement, c’est la reprise de son premier long métrage, Invasion, sorti en 1969, et dont le parcours est indissociable de celui du réalisateur. Approche du mythe.
"Vous voulez que je vous raconte, ou vous posez des questions et je vous réponds ?" Je ne sais pas si Hugo Santiago aime les interviews, mais ce qui est sûr, c’est qu’il aime raconter, se raconter, se mettre en scène dans ce décor mythique qu’est la littérature argentine du 20e siècle. Il l’interprète, la réinvente, la fait vivre, à grand renfort d’anecdotes, de souvenirs, de photos.
Né en 1939, à Buenos Aires, Hugo Santiago étudie la musique, la littérature et la philosophie, avant d’arriver en France, où il devient l’assistant de Robert Bresson ; il a 19 ans. Sept années européennes, puis il retourne en Argentine, où il réalisera Invasion, véritable monument, au cœur de son œuvre et de son histoire. C’est là que se fera la rencontre avec Borges et Bioy Casares, monstres sacrés de la littérature argentine. Tous deux vont participer au scénario. Ces rencontres sont de celles qui marquent une vie. "Bioy avait exactement l’âge de mon père, et c’était comme mon frère. Un frère qui n’est pas un frère, c’est-à-dire mieux !"
Un des premiers plans d’Invasion s’attarde sur une étagère chargée de livres. Le premier, un ouvrage de Borges, El Hacedor, le faiseur, littéralement. Santiago est un "faiseur" de films. Un "artisan faiseur de films" comme il le dit lui-même. Et l’expression prend toute sa dimension au regard des réalisations qu’il a baptisées "objets audiovisuels". Des films sur la musique, le théâtre, comme une approche par l’image d’autres expressions artistiques. "En 1985, j’ai décidé d’arrêter avec l’industrie et les gros films narratifs. Ce qui ne veut pas dire que j’arrête avec la narration et la fiction, parce que même quand je fais un film de musique, il raconte quelque chose. Il y a d’une certaine façon de la fiction... C’est ma manière de faire."
De la fiction qui fait pourtant étrangement écho à la réalité. Rien de plus terriblement familier que l’histoire d’Invasion, cette ville envahie, défendue dans l’ombre par un groupe d’hommes et de femmes à la fois ordinaires et exemplaires. Au moment de la sortie du film, la situation politique argentine semblait relativement stable. Les militaires ne prirent le pouvoir qu’en 1976. "1968 était une année où tout semblait possible. C’est pour ça que j’ai pu faire Invasion." Les critiques accueillirent le film "comme si c’était de la science fiction". Et pourtant... Au regard de l’histoire, on est forcément frappé par ce côté visionnaire, prémonitoire.
"Claude Mauriac, se rappelle Hugo Santiago, dix ans après Invasion, s’est un jour interrogé. Il a pensé aux événements qui avaient eu lieu ces dernières années, et s’est dit "tout ce qui s’est passé, je l’ai vu dans un film argentin en 1969". Il a essayé de faire une liste, et la liste était à couper le souffle, parce que historiquement, il y voyait beaucoup plus de choses que moi j’y avais vues." Le choix du stade, comme lieu sacrificiel, par exemple, bien avant le stade de Santiago du Chili, même si le Vel d’Hiv avait déjà ouvert la voie.
La trame d’Invasion s’étend ainsi sur toute l’œuvre de Hugo Santiago, resurgissant parfois comme un rappel de l’Histoire. Les trottoirs de Saturne en imaginent une suite, et un troisième volet est en gestation.
Le destin du film est exceptionnel. En 1975, une chaîne de télévision le programme ; la censure interdit la projection. Quelques années plus tard, le film, déposé dans un laboratoire de Buenos Aires, est volé. Huit bobines de négatifs disparaîtront, sur les douze que comptait le film. L’affaire se perdra dans les zones d’ombre des années noires. Pourtant, Invasion continue à circuler. "Le film a toujours été projeté à Buenos Aires. Il y avait des cassettes vidéo, piratées, coupées... Les ciné-clubs avaient fait des copies qu’ils passaient dans des salles. Mais le film était très coupé."
Aujourd’hui, il ressort entièrement restauré, sur les écrans parisiens. "Pour moi, c’est très important que ce film sorte. C’est un cadeau, même s’il doit passer sur Arte après ! Il est sorti en 69 à Buenos Aires, et tout de suite après à Paris. C’est de là qu’il a commencé à parcourir le monde."
Hugo Santiago, lui, avait commencé bien avant ! "Je suis porteño [1] de Paris", se définit-il. Des aller-retours entre Paris et Buenos Aires, et une seule certitude : "Je suis fils et petit-fils d’immigrants. Même là-bas ! Même si quand on est intellectuels, qu’on fait des œuvres, on pense qu’on est moins immigrants que les autres !"
Hugo Santiago feuillette un livre, commente des photos... Borges, Macedonio Fernandez, Silvina Ocampo, Bioy Casares... Hugo Santiago vit à Paris, fait des films en France, mais sait qu’il sera "toujours porteño, parce qu’on cesse rarement de l’être". On repense à Borges... "Los años pasados en Europa son ilusorios ; yo siempre he estado y estaré en Buenos Aires." [2]
(Sur notre illustration, H. Santiago (à droite) est en compagnie de J.L. Borges)
[1] Nom donné aux habitants de Buenos Aires.
[2] "Les années passées en Europe sont illusoires ; j’ai toujours été et je serai toujours à Buenos Aires."
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