Les entretiens aVoir-aLire
Le 10 mars 2009
A l’occasion de son dernier film, Revanche, nommé aux Oscars 2009 dans la catégorie “Meilleur Film Étranger”, le cinéaste autrichien nous a accordé un entretien parisien.
- Réalisateur : Götz Spielmann
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En seulement quelques films très marquants (notamment Antares, sorti en 2005), Götz Spielmann s’est imposé comme l’une des figures majeures du cinéma autrichien contemporain, en revendiquant un style personnel et singulier, qui présente une véritable exploration cinématographique à contre-courant des modes. Il revient aujourd’hui avec un nouveau long-métrage, Revanche, qui sort le 11 mars en France, et lui permet d’affirmer une nouvelle fois son identité artistique. Autour d’un café par une matinée parisienne venteuse, le cinéaste a évoqué son oeuvre, le temps, l’humilité, la forme, et ce qui constitue le caractère unique de son travail dans le cinéma contemporain.
aVoir-aLire : Dans votre dernier film, Revanche, vous semblez chercher un moyen d’installer le spectateur dans une atmosphère très singulière. Surtout après le meurtre, il y a des éléments visuels et cinématographiques qui créent une perception particulière du temps. J’aimerais savoir si ce travail sur le temps peut être considéré comme essentiel pour votre travail scénique, ou s’il s’agit simplement d’un élément qui accompagne le processus ?
C’est l’une des meilleures premières questions que l’on m’a posées dans une interview [rires]. Il y a tant à dire, je dois réfléchir par où commencer. Je suis incapable de donner une seule réponse, je peux seulement donner des pistes.
La première : les films, comme les romans et la musique, sont en quelque sorte emportés par le temps, parce qu’ils ont un début et une fin. Quand on les regarde ou on les écoute, c’est à l’intérieur du temps. Mais pour moi, les choses vraiment importantes dans la vie existent en-dehors du temps. Elles sont dépourvues de temps. C’est donc pour moi un but de vaincre le temps à l’intérieur du film, de le dépasser. Lorsque j’organise les choses dans une scène ou une métaphore, le temps est comme si l’on regardait un fleuve qui s’écoule continûment. Toute l’eau s’en va, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Mais lorsque je regarde un film et qu’à la fin, j’ai l’impression que toute l’eau a été recueillie dans un lac, qui n’est pas dans le temps, mais qui se trouve là, à ce moment-là je suis heureux. Et c’est l’expérience que je veux donner au spectateur, que d’une certaine façon le temps s’arrête.
Le second point est que, pour atteindre cela, je n’utilise pas les instruments de manipulation du cinéma, parce que je veux que le spectateur soit libre de décider comment il ressent le film que je lui montre. Je ne manipule rien par le montage ou par la musique. Il n’y a pas de musique dans le film et il y a très peu de coupes. Du coup, il peut paraître plus lent que d’autres films, mais peut-être pas, parce que beaucoup de gens m’ont dit qu’ils n’auraient jamais cru que le film durait 120 minutes... ce qui est le cas.
Cela semble lié à un double problème. Premièrement, la présence de la nature dans le film, qui contribue à cette perception particulière.
Oui, c’est vrai.
Et deuxièmement, depuis le titre lui-même, le film semble ambivalent ou ambigu, et à la fin vous ne décidez pas si le personnage va faire précisément ceci, ou cela... Était-ce une invitation consciente pour que le spectateur crée sa propre interprétation, ou aimeriez-vous qu’il s’oriente dans une certaine direction ?
Non, je ne suis pas prêtre, je ne suis pas politicien. Pour moi, il n’est pas nécessaire qu’ils aillent dans une certaine direction ; ils iront dans leur propre direction. C’est ce que je veux qu’ils fassent de mon film. Je veux qu’ils utilisent mon oeuvre pour aller dans leur propre direction, pas la mienne. Je ne suis pas un chef, je suis un artiste.
Lorsque vous travaillez avant et pendant le tournage, comment réussissez-vous à travailler sur la transmission des émotions ? Est-ce que vous travaillez sur vos propres émotions, sur celles des acteurs, sur celles que pourront avoir les spectateurs ?
C’est très difficile à expliquer. Mon oeuvre ne s’occupe pas des émotions, puisqu’elle ne manipule rien. Pour moi, les émotions sont seulement un matériau, comme les lieux ou les acteurs. Et ce matériau est à l’intérieur d’autre chose, que j’appellerais “le vide”. Je me concentre pour trouver et atteindre cette sorte de vide. Et les acteurs arrivent eux aussi à cet état de concentration. Le vide, oui, c’est mon but.
Y a-t-il eu une scène particulièrement difficile à tourner dans le film ?
Quelques-unes, un certain nombre, parce que c’était un défi de tourner de cette façon avec aussi peu de coupes, car on peut le faire très facilement en se contentant de placer la caméra et de laisser les choses se faire. Mais le film est fait avec une chorégraphie d’acteurs, une steadycam et des mouvements de caméra, et tout est, je ne vais pas dire “construit”, car la construction est quelque chose de mental, mais presque comme lorsqu’on fabrique une table ou lorsqu’un coordonnier fabrique des chaussures, avec l’énorme concentration que cela requiert.
Il y a eu des choses pour lesquelles il était très difficile de trouver un moyen de tout dire sans montage. Par exemple, la scène où le policier rentre dans le poste de police et a sa première crise nerveuse est faite sans coupes, et cela a été un plan extraordinairement difficile. Ou des plans dans la maison, ou bien la première scène où Alex va voir la femme du policier, tout ça était très compliqué.
Et à cause de cette chorégraphie, pensez-vous que cela a également été difficile pour les acteurs de s’adapter aux mouvements de caméra ?
Faire des films est difficile, bien sûr, mais en fait oui et non. J’ai répété des semaines avec les acteurs avant d’aborder le tournage, donc quand nous commençons à tourner, ils en savent beaucoup sur leurs personnages, sur les scènes, sur leurs émotions, etc... Ils sont alors assez libres, parce qu’ils sont dans la scène au moment où ils commencent à travailler dessus. C’est de la concentration, du travail, ce n’est pas plus compliqué qu’un autre métier ; mais je répète pendant deux semaines, et pendant ce temps-là ils arrivent à se libérer.
J’aimerais à présent évoquer un autre pan de votre travail et de vos influences. Vous avez mis en scène pour le théâtre une pièce d’Arthur Schnitzler, Der einsame Weg. L’univers de Schnitzler traite aussi d’une forme de solitude, d’ambiguïté... Est-ce que cet univers vous plaît particulièrement ? Était-ce une influence sur votre oeuvre ?
Je ne dirais pas ça, non, mais peut-être que je ne peux pas le décider. Je suis influencé par tout, donc par Schnitzler aussi, mais pas particulièrement. Peut-être parce qu’il est Viennois, moi aussi, peut-être le parfum de Vienne nous a tous les deux influencés, mais il n’a pas été une influence particulière sur moi. Mais je l’aime beaucoup, dans son langage, sa tristesse, sur beaucoup de choses...
Avez-vous d’autres références au théâtre ou au cinéma ?
Laissez-moi dire quelque chose avant tout, cela ne me pose pas du tout de problème d’être influencé. D’un côté, je suis ouvert à toutes les influences qui se présentent. De l’autre, j’essaie toujours de trouver ma propre voie et de ne jamais suivre quelqu’un d’autre. Par conséquent, je suis influencé par de nombreux cinéastes, et je ne suis aucun d’entre eux. Les réalisateurs les plus importants quand j’ai commencé, et peut-être jusqu’à aujourd’hui... Fellini, Bergman, Antonioni, les Japonais, Cassavetes, tous ces grands réalisateurs.
Dans votre travail de création, séparez-vous l’écriture pour la scène et l’écriture pour l’écran ? Ou bien est-ce partie prenante d’un même travail ?
Cela fait partie d’un même genre de travail, même si ce sont deux types particulièrement différents, parce qu’écrire pour le théâtre implique une énorme concentration sur le langage. Le langage est la chose la plus importante au théâtre, alors qu’au cinéma selon moi le langage n’a aucune importance. Quand je travaille avec mes acteurs, mon but est qu’ils arrivent à un point où ce qu’ils disent n’est pas important, où ils pourraient dire autre chose que le dialogue précis que j’ai écrit, ce qui est très différent du théâtre.
Mais l’ensemble vient de quelque chose de plus profond et qui ne peut pas trouver de définition. J’ai donc l’impression que tout mon travail et tout ce que je suis viennent de quelque chose qui n’a pas de forme. Je recueille les choses, mais les méthodes du théâtre et celles du cinéma sont très différentes. C’est une différente sorte de concentration.
Et il est vrai que le silence a une grande importance dans le film. Il n’y a pas de musique, peu de dialogues entre les personnages... Les relations essentielles semblent prendre d’autres chemins que la parole.
Oui. Mais peut-être est-ce la même chose dans la vie, sauf que nous ne nous en rendons pas compte, parce que nous sommes tellement concentrés tout le temps pour comprendre quel est le sens. Il nous reste très peu d’attention pour les choses qui se situent au-delà du sens et du calcul.
Vous avez été nominé plusieurs fois pour les Oscars (meilleur film étranger). L’année dernière, l’Autriche a gagné l’Oscar du meilleur film étranger [pour Les faussaires, de Stefan Rudowitzky]. Ces dix dernières années, les cinémas allemand et autrichien ont pris une importance nouvelle sur la scène internationale. Pensez-vous qu’il y ait une spécificité de ces cinémas, ou qu’il s’agisse de facteurs davantage matériels qui font qu’ils sont reconnus aujourd’hui ?
En Autriche, nous avons l’impression d’être très différents du cinéma allemand, et je l’ai aussi. Je vois de grosses différences entre le cinéma allemand et le cinéma autrichien. Par exemple, le cinéma allemand d’aujourd’hui est davantage influencé par le cinéma américain, alors que le cinéma autrichien est davantage influencé par le cinéma européen. Une autre grosse différence est la manière de traiter les émotions. Le cinéma allemand est plus intellectuel, le cinéma autrichien plus au niveau de l’émotion. Vus du dehors, les Japonais et les Chinois se ressemblent, mais ils pensent qu’ils sont très différents. Je ne peux pas vraiment parler d’un “cinéma de langue allemande”. Il y a de grandes différences entre eux.
Est-ce que vous vous considérez comme faisant partie d’une génération, ou plutôt unique dans votre genre ?
Je n’ai pas besoin de cela. Je fais partie du monde, du cinéma, j’espère. Je n’ai pas besoin de définitions pour mon travail, je ne pourrais pas dire. Je ne sens pas que je fais partie d’une génération, parce que je me sens davantage proche de cinéastes plus anciens, et davantage proche de cinéastes débutants qui ressentent des énergies et des désirs semblables. Je me sens une parenté avec une attitude qui a toujours existé de manière rare et minoritaire dans l’art. C’est mon lien, et non une génération ou un pays.
Pourriez-vous décrire cette attitude ?
C’est très difficile. Encore une fois, je vais essayer de donner des pistes. D’abord, le véritable art est dans son essence optimiste. Il croit dans la vie même. Par conséquent, il s’agit de quelque chose de plus que la simple critique de la société et la politique. Bien sûr, c’est une partie de l’art, mais l’art va plus loin que cela. Pour moi ça n’est pas assez intéressant. Si j’avais voulu faire de la politique, je serais devenu politicien ou terroriste, ou quelque chose du genre, mais pas artiste. L’art dépasse la politique, et à partir du moment où on voit l’art comme une fonction de la société de manière positive ou négative, accepter ou critiquer la société, on ne comprend pas l’art.
Deuxièmement, la forme est aussi importante que ce qui est raconté, que l’histoire. L’aspect formel du cinéma, la manière dont je raconte est pour moi aussi important que les histoires que je raconte.
Troisièmement, il s’agit d’essayer d’aller dans sa propre direction, sans arrogance [le cinéaste cherche un mot, finit par passer par l’allemand, ohne Überhebligkeit], avec humilité [mit Demut], mais en même temps ne pas penser qu’on est meilleur que les autres. Suis ton propre chemin, parce que c’est ton destin, mais avec l’énergie que tu ressens en toi et non pas pour être différent des autres.
Est-ce que vous avez des chemins formels ou stylistiques que vous aimeriez explorer dans vos oeuvres futures ?
Oui.
Des pistes ?
Non, parce que je ne fais que les sentir, je ne sais pas encore... Cela ne peut pas s’exprimer en mots, mais doit être fait.
Propos recueillis à Paris le 6 mars 2009.
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