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Le 29 juin 2005
Entretien avec le réalisateur de Vol whisky romeo zulu.
- Réalisateur : Enrique Piñeyro
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Rencontre avec le réalisateur de Vol whisky romeo zulu, un Argentin désespérément lucide.
Enrique Piñeyro vient de réaliser Vol whisky romeo zulu. Il y dénonce la corruption qui, à tous les niveaux de l’État et de l’entreprise, privilégie le profit à la vie humaine et a rendu inéluctable un crash aérien qui a fait 67 victimes, le 31 août 1999. Rencontre avec un Argentin désespérément lucide sur la situation politique de son pays, mais qui garde encore un petit morceau de tête dans les étoiles.
Vol whisky romeo zulu est votre premier film en tant que réalisateur. Pour vous, c’était indispensable de raconter cette histoire ?
Oui, parce c’est un chapitre de plus dans cette longue progression vers le mépris de la vie. Je l’ai fait pour éviter qu’on oublie. C’était absolument nécessaire de raconter cette histoire, parce qu’au-delà de n’importe quelle défaillance judiciaire, je sais, moi, exactement pourquoi ces 67 personnes sont mortes, et que de toutes les versions qui en ont été faites, je sais que la mienne est la bonne parce que j’ai vu, et je l’ai vécue.
Je ne veux pas qu’un autre avion tombe pour des raisons de corruption. D’autres avions tomberont, c’est inévitable. Ils peuvent tomber par négligence, par excès de bureaucratie, mais pas pour ça.
Vous affirmez que vous avez joué le rôle du pilote parce qu’il fallait savoir piloter. Est-ce que ce n’est pas aussi un désir d’affirmer votre implication personnelle dans l’histoire ?
(Rires) Maybe !
On ne peut pas trouver d’acteur capable de piloter un Boeing 737. Je voulais que tout soit réaliste, loin des bouffonneries des films américains, où les pilotes ont l’air d’être dans un salon, volent avec leur veste et leur casquette, prennent la radio, y débitent des imbécillités hallucinantes, dans des plans toujours frontaux. J’ai pensé que si le spectateur pouvait imaginer qu’il était dans le cockpit, cela aurait un fort impact sur la crédibilité du film.
Par ailleurs, je voulais montrer cette passion du vol qui anime les pilotes. C’est cette passion qui leur fait faire n’importe quoi, jusqu’à risquer leur vie pour conserver ça.
En Argentine, on vient de destituer un juge pour "oisiveté et paresse", ce qui ne s’est encore jamais vu. Le système judiciaire argentin est-il en train de changer ?
Oui, il y a eu des changements fondamentaux. En particulier au niveau de la Cour suprême, qui était un véritable scandale. Maintenant, les juges sont vraiment des juristes de valeur. Mais ça reste une structure très corrompue et très corporatiste qu’il faudrait entièrement revoir.
Vous avez été pilote pendant onze ans. Je suppose que ce que vous dénoncez dans le film a toujours existé. Lorsque vous avez décidé d’en parler, c’est parce que les choses avaient empiré ou parce qu’à ce moment-là, il était plus facile de dénoncer ?
Les choses avaient empiré. C’était beaucoup plus difficile de dénoncer au moment où je l’ai fait. A cette époque, la corruption existait à tous les niveaux de l’Etat, de la base jusqu’au sommet. Ma lettre est allée jusqu’au New York Times, et rien ne s’est passé. Absolument rien ! Personne n’a décroché son téléphone, ne serait-ce que pour demander "mais qu’est-ce qui se passe ?". Rien.
Le problème, c’est que les accidents d’avion commencent très longtemps avant l’impact. Lorsque j’ai commencé, à la LAPA, il n’y avait que des petits avions très faciles à manier, donc pas de problèmes sérieux. Nous étions onze pilotes. C’est à l’arrivée des jets, en 93 que tout s’est emballé. La dégradation a été d’abord arithmétique, puis géométrique. Elle est devenue incontrôlable.
Vous parlez beaucoup de la difficulté de mener ses rêves d’enfants jusqu’à l’âge adulte. Est-ce que dans votre cas, c’est la conséquence des conditions de travail qui ont été les vôtres, ou c’est un processus naturel, quelle que soit l’histoire de chacun ?
Il y a une part naturelle de désillusion. Les rêves ne coïncident jamais totalement avec la réalité. Mais je crois tout de même qu’une énorme partie de ces désillusions est exclusivement inhérente à l’Argentine.
En effet, être pilote en Argentine, c’est pire que de l’être ailleurs, mais c’est pareil lorsqu’on est médecin, journaliste ou n’importe quoi.
Il y a une culture qui veut que les dérives se transforment en norme. Et tout le monde s’en fout. C’est ça qui m’a beaucoup touché. Quel pays ingrat ! J’ai entendu ma mère parler des nazis comme un élément d’un passé démentiel que l’humanité ne connaîtrait jamais plus. Et mon adolescence, je l’ai passée dans une dictature militaire, où les gens disparaissaient ou étaient jetés des avions. C’est très choquant. Ce sont des choses qui font partie d’un passé fantasmagorique. On grandit, et on les prend en pleine figure. On a des illusions de pilote, et le seul choix se résume à protester et se faire licencier ou accepter et croiser les doigts pour qu’il n’arrive rien. Mais quand on est enfant et qu’on joue avec des petits avions, ce n’est pas de ça que sont faits nos rêves.
Et aujourd’hui, de quoi sont faits vos rêves ?
Ouvrir un restaurant... ? (rires)
Propos recueillis à Paris le 8 juin 2005
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