Le 14 août 2019
- Dessinateur : Emmanuel Lepage
- Genre : Voyage
- Editeur : Casterman
Escapade hors des sentiers de la BD, pour Emmanuel Lepage, qui nous dévoile son Brésil dans un carnet de voyage pudique et humain. Retour sur un voyage intérieur.
Vos voyages sont votre principale source d’inspiration. Le carnet de voyages relève-t-il pour vous d’une démarche très différente de la BD ?
Le carnet de voyage, ce sont des rencontres, c’est un temps différent, un espace très libre, sans contraintes. Il n’y a pas l’exigence que j’ai quand je dessine une bande dessinée. A l’origine, ce n’était pas pensé pour être publié un jour.
Quand je suis en voyage, que je m’installe quelque part, les gens viennent me voir et réagissent de façon très brute, au dessin. Quand je fais de la BD, je suis tout seul dans mon coin. Je fais mon bouquin, et quand il devient réel pour les autres, pour moi, c’est passé. J’aimerais parler de mes histoires quand je suis en train de les faire. J’admire beaucoup les musiciens. Ils chantent, et les gens réagissent en même temps. Cette proximité, je l’ai uniquement lorsque je fais des carnets de voyage.
Dans le texte, on suit à la trace un personnage qui porte votre nom. Est-ce que ça a un sens particulier pour vous, cette idée de disparaître ? Est-ce que c’est un fantasme ?
C’est assez troublant, cette question ! Le rêve de disparaître pendant un an était quelque chose qui me plaisait beaucoup. Depuis tout jeune, ce que je voulais, c’était un jour de prendre mon sac et partir faire le tour du monde. Longtemps, sans donner de nouvelles. C’est quelque chose qui me séduisait beaucoup, et dans le voyage seul, ce qui est extraordinaire, c’est qu’on n’a pas de passé, pas d’histoire, on n’est ce qu’on est dans l’instant. Ça se passe bien ou ça se passe mal, après tout, le lendemain on est ailleurs. Et ça, c’est quelque chose d’inouï, parce qu’on laisse faire le hasard des rencontres. On peut passer une soirée avec quelqu’un, ou alors quinze jours, un mois, peut-être plus... On peut se raconter une vie différente à chaque fois.
Les choses vont aussi beaucoup plus vite, dans les rencontres, parce qu’on sait que c’est quelque chose d’éphémère. Il n’y a pas de temps à perdre. J’ai l’impression d’être beaucoup plus authentique quand je voyage, d’avoir une place sociale différente.
Est-ce que ces voyages serviront aussi de base à des BD ?
Il y a un projet d’histoire autour du voyage. Je voulais faire des petites histoires courtes, mais j’avais du mal à trouver le lien. Il m’a été donné au Nicaragua. Je me suis fait voler mes affaires par un type avec qui j’avais voyagé, qui se faisait passer pour un Espagnol qui travaillait dans l’humanitaire. Il avait toute la panoplie du professionnel de l’humanitaire. Quand je me suis fait voler mon sac, je me suis dit qu’il allait se faire passer pour un dessinateur de BD ! Ça m’a donné l’idée de l’histoire de quelqu’un qui s’approprie les identités des gens après les avoir rencontrés et volés. Dans un sac, il y a tout. Les lettres, les notes, les livres... Le voleur se glisse totalement dans l’intimité des gens.
Comment s’est faite la collaboration avec Nicolas Michel ? Tous les portraits sont imaginaires, ou vous lui avez donné des pistes ?
Dans ce livre, tous les portraits sont imaginaires. Je demandais aux gens d’écrire leur nom sur les dessins. Il n’avait que leurs noms. Je lui en ai dit le moins possible, mais c’est souvent assez juste.
Pourquoi avoir choisi la fiction comme support textuel ?
C’est peut-être une façon de me protéger. J’ai toujours envie que le voyage reste quelque chose de privé. Et finalement, on en dit beaucoup plus dans la fiction. C’est comme au théâtre. Quand on joue un personnage, on va puiser en soi, on va révéler des choses de soi, qui sont là mais qu’on n’ose pas obligatoirement développer. L’alibi de la fiction aide à révéler beaucoup de choses de soi.
Quand je lis les textes de Nicolas Michel, je me retrouve, parfois. Mais j’ai toujours la possibilité de dire "non, ce n’est pas moi !" Je pense que je ne suis pas prêt à raconter des voyages par des mots, autrement que dans un cadre privé. Mais il y a des choses qui passent à travers le dessin, liées au souvenir, aux rencontres. Peut-être que faire appel à une fiction pour raconter ce voyage, c’est plus près du réel que si je l’avais vraiment raconté.
Transcription de la rencontre réalisée en juillet 2003.
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