Le 22 septembre 2017
- Durée : 2
- Scénariste : Beka
- Dessinateur : Marko
- Famille : BD Franco-belge
- Editeur : BAMBOO
- Date de sortie : 23 août 2017
Voici la troisième et dernière partie de cette rencontre fleuve avec les deux scénaristes formant le duo Beka et le dessinateur Marko.
La photo des trois auteurs est de A.Moreau pour Bamboo édition.
Vous pouvez retrouver la première partie de cette interview ici et la deuxième partie juste là.
aVoiraLire : Pour revenir aux éléments que vous présentez dans le deuxième tome, j’avais beaucoup aimé la loi de Pareto qui dit qu’on passe vingt pour cent de son temps à faire quatre-vingt pour cent du travail et quatre-vingt pour cent de son temps à faire vingt pour cent du travail. En écriture, on dit qu’on passe vingt pour cent de son temps à écrire et quatre-vingt pour cent à réécrire. Est-ce quelque chose que vous avez vécu ?
Caroline Roque : En ce sens-là, oui.
Bertrand Escaich : Elle est vraie pour tout cette loi, c’est terrible. Chacun peut se l’approprier à sa façon. Même le patron requin peut l’appliquer à sa manière, en décidant de virer quatre-vingt pour cent du personnel inefficace, et de garder les vingt pour cent efficaces. Mais telle quelle, on ne l’a pas appliquée.
Caroline Roque : Oui, on ne délègue pas vingt ou quatre-vingt pour cent du travail quand on écrit. (rires)
Marko : Mais ce n’est pas évident de trouver ce qui correspond à quatre-vingt et à vingt pour cent. Comme de faire ce choix de s’arrêter pendant une heure, une heure et demi (pour le cours de yoga ) ce n’est pas évident de prendre cette décision.
Bertrand Escaich : Ce qui est étonnant chez ceux qui l’ont testé, c’est que cela fait souvent suite à un ras-le-bol ! On le montre avec le personnage de Thomas. Au point où il en est, il va se planter alors tant pis, il applique Pareto car il n’en peut plus. Ceux qui l’ont testé sont formels : ça marche ! Mais il faut être prêt...
aVoiraLire : Vous expliquez aussi à un moment ce qui engendre un surplus d’émotion.
Bertrand Escaich : Je pense que ça, on l’a tous testé.
Caroline Roque : Quand on a vraiment envie de quelque chose, ça n’arrive pratiquement jamais.
Bertrand Escaich : Souviens-toi, quand on tombe extrêmement amoureux au collège ou au lycée… Ça va foirer !
aVoiraLire : Dans le négatif, c’est vrai, il faut redescendre, calmer l’émotion. Dans le positif, je réfléchissais, quand on est emporté par quelque chose, on y va à fond, et là, par contre, ça peut marcher ?
Bertrand Escaich : Pas forcément, par exemple, chez les sportifs, c’est quand ils sont au sommet, dans des moments de toute puissance que se produit l’accident bête.
Caroline Roque : Comme Usain Bolt.
Bertrand Escaich : C’est souvent un petit retour de bâton.
Marko : Je peux en parler par rapport au dessin. Dans le dessin animé, on nous demande d’osciller entre tous les styles, et à un moment donné, tu pars dans toutes les directions, derrière tous ces styles, et tu te perds entre eux. Le but, à un moment, c’est de ralentir, de trouver ton style.
Bertrand Escaich : Tu peux ramener cela à un modèle physique. A partir du moment où il y a un excès, il va falloir le contrebalancer. Sur la durée, il va falloir le ramener à quelque chose de plus modéré. Un excès de joie ou de tristesse, il faut le contrebalancer par quelque chose...
Marko : Le tome un est arrivé à ce moment-là, où j’oscillais graphiquement de manière impossible jusqu’à un moment où on m’a dit « Fais ça ». La planche une du tome un, j’ai fait un croquis et là...
Bertrand Escaich : Et devant ce croquis, on a dit « Arrête, c’est ça ».
Marko : Et là, ouf... Mais après, je ne pouvais plus faire que ça. Avant je pouvais faire un travail le matin, un autre l’après midi. Là, quand je commençais une case, je ne savais pas quand elle se finissait car elle se finissait quand je décidais qu’elle était finie. Donc, je ne pouvais pas m’arrêter en cours et aller faire autre chose. Du coup, ça m’a aidé à retrouver une sorte de calme. Ça m’a donné une vraie pause. D’ailleurs à la fin du tome un, j’ai eu un craquage de disque dur ! J’ai perdu vingt ans de boulot, sauf un album, le tome un. Coïncidence ? En tout cas, ça m’a aidé à surmonter ce passage. Bon, faut relativiser, je n’avais pas perdu les codes secrets de mon abri anti-atomique. (rires) Mais au final... Comme je n’étais plus dans ces oscillations graphiques, j’ai pu prendre du recul. Mais attention, on n’est pas à l’abri de retomber...
Bertrand Escaich : Ta page une, ça m’a fait penser à Rodin. C’est sublime son travail, mais on se demande quand est-ce qu’il décide d’arrêter…
Marko : Entre nous, on trouve quand, mais il faut aussi que l’éditeur accepte qu’à un moment donné on lui dise « C’est ça qu’on veut, ce sont ces couleurs ».
Caroline Roque : Notre éditeur a été formidable, il nous a suivis !
Bertrand Escaich : Ta planche, ton travail et Maëla, ca s’est imposé.
aVoiraLire : Graphiquement, on est dans l’esprit de l’histoire. Il y a un pont très net et par la manière dont tu le racontes et par le visuel.
Marko : Oui mais attention, on peut malheureusement planter les scènes. Sur le tome deux, Clémentine rencontre Olivia. Au début, je faisais un casting de personnages au dessin pour trouver son physique, et ça ne collait pas. Et soudain, un visage s’est imposé de lui-même et tout est reparti. A un moment donné, des briques se collent bien et ça relance tout.
Bertrand Escaich : Elle est intéressante. Il y aura un truc à écrire autour d’Olivia plus tard.
Marko : Elle donne un rythme dans l’album, en trois cases, c’est reparti. Même entre nous, on ne trouvait pas le personnage et tout à coup, elle est arrivée et tout s’est relancé.
Bertrand Escaich : Pour l’anecdote, la scène à la Philharmonie de Berlin est inspirée d’une histoire arrivée à Hélène Grimaud, la pianiste. Elle racontait qu’elle devait jouer au Philharmonie. Elle est arrivée tard à Berlin, la veille du concert. Et elle est allée voir si il y avait moyen de répéter avant le concert du lendemain. Et là, elle trouve une porte ouverte, en pleine nuit. Elle est entrée et elle a pu répéter toute la nuit dans le Philharmonie. Une pianiste de ce niveau toute seule la nuit dans ce lieu, ça doit être magique, surréaliste !
Marko : Cet accord entre nous, cet équilibre me permet de dire « OK, je vais dessiner le Philharmonie » !
L’intérieur du Philharmonie de Berlin vu par Marko.
Bertrand Escaich : Trois pages de thé au début et après... Le Philharmonie ! (rires)
Caroline Roque : Il y a eu Osaka ensuite.
Marko : Je ne peux pas aborder ce genre de scène si jamais je cherche encore mon style. Mais arrivé au point où on en est, il n’y a plus de problème. C’est même parfois grisant, Je peux alors dessiner des choses qui dévient de l’intention initiale. Et heureusement que Caro et Bertrand sont là. Parfois, j’envoie un dessin, je sais qu’il y a un petit truc qui cloche mais je l’envoie quand même. (rires) Et ça ne manque pas ! Par exemple, il y a une case où on voit une abeille dans un champ. J’avais dessiné un champ, avec une belle technique de mise en page. J’étais content. J’ai fait un test sur Facebook et là, les retours « un très beau dessin de champ » ! (rires)
Caroline Roque : Alors qu’il fallait montrer l’abeille.
Marko : Tu te fais griser, alors que tu es là pour servir un texte. Ça, il ne faut pas l’oublier.
aVoiraLire : Du coup, toi, Marko, tu as le repère du texte, mais à vous deux, Caroline et Bertrand, il n’y a personne en amont pour vous donner de repère. Comment faites-vous ?
Bertrand Escaich : On n’écrit pas dans l’absolu. On pense toujours à quelqu’un, le dessinateur bien sûr, mais aussi le lecteur. Quand on doit faire des scénarios sans connaître le dessinateur, c’est très difficile, c’est un sable mouvant. Alors que là, par exemple, on essaye de voir ce que Marko va pouvoir faire. Attention, pas ce qu’il va faire, ce qu’il va pouvoir faire.
Marko : Il y a des auteurs qui ont du mal à gérer un nombre de cases trop grand, moi, je peux aller jusqu’à douze, treize cases par planche.
Caroline Roque : c’est au bout de plusieurs années de travail qu’il en arrive là.
Marko : Avant, il y a sept albums en commun, pour arriver à cela.
Caroline Roque : Six. Le style qui se rapproche le plus, c’était les « Voyages » !
Marko : J’ai essayé d’expliquer à quelqu’un que les albums « Voyage en Chine » et « Voyage en en Inde » sont les prémisses de ça. Il m’a répondu « ça ne ressemble pas ».
Voyage en Chine et Voyage en Inde
Caroline Roque : Je pensais plus aux « Voyages Géo » chez Dargaud.
Marko : Je parlais plutôt de l’intention graphique en référence aux Voyage en Chine et en Inde.
Caroline Roque : C’est le mix des deux.
Marko : Avec « La Comtesse des glaces », un album de cette série « Voyages Géo », on est plus dans la même intention. C’est un récit qui se passe chez les Inuits. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Maëla. Narrativement, c’est très lent. Et le décor, c’est de la neige. Blanche... A perte de vue... (rires) C’est uniquement du travail de cadrage et de personnages.
La comtesse de glaces, une BD enneigée...
aVoiraLire : A un moment dans l’album, vous expliquez qu’il faut espérer le meilleur et se préparer au pire. Ça contrastait un peu avec l’histoire des pirates qui coulent leur bateau quand ils ont lancé un assaut pour éviter toute possibilité de retour en arrière. Le côté pirate est une jolie métaphore alors que le pire et le meilleur pouvaient se révéler une vision plus bloquante. Quand on pense au pire, on peut freiner son action. Par exemple, penser au pire au moment de prendre l’avion, c’est penser à la mort si l’avion s’écrase.
Bertrand Escaich : Tu as raison mais en même temps, là, tu cites l’exemple où tu meurs. Mais le reste du temps, le pire n’est jamais si pire que ça.
Marko : Quelqu’un qui fait un marathon, il sait qu’au bout de quarante-deux kilomètres, il va vider ses tripes mais ça ne l’empêche pas de partir. Ça peut être aussi un point de mire au lieu d’un frein. Quand je marche en montagne, je vais passer deux cols à deux mille six cent mètres, si je me dis que je vais en baver pendant huit heures, je ne monte pas. Mais à un moment, j’ai envie.
Bertrand Escaich : Dans le cas de l’avion, si tu vas à Bali, le meilleur, c’est Bali. Le pire, bon, il y a un avion sur je ne sais combien qui s’écrase. C’est extrêmement rare que ça tombe.
Caroline Roque : Le pire, c’est de rester à la maison parce que l’avion a été annulé. (rires)
aVoiraLire : On peut se dire alors, comme dans le premier tome, c’est chance ou malchance. Une situation peut être vue négativement ou positivement, selon les conséquences qu’elle aura plus tard et qu’on ne peut imaginer sur l’instant.
Caroline Roque : C’est ce qu’on se dit des fois et finalement il ne se passe rien. (rires)
Marko : Il faut oser faire les choses sinon il ne se passe rien.
Bertrand Escaich : Une vie tiède, ce n’est pas marrant. C’est comme l’histoire des réussites célèbres. On nous présente souvent des histoires de réussite et on zappe combien ces personnes ont galéré pour y arriver. Mais je trouve que parler aussi de ceux qui n’ont pas réussi mais qui se sont bagarrés pour faire des choses est vraiment intéressant.
Marko : Les Poulidor.
Bertrand Escaich : Oui, les Poulidor. Au final tu te rends compte qu’ils ont vachement gagné quand même. Poulidor est vivant alors que Anquetil est mort, il s’est dopé jusqu’à la moelle. Poulidor, lui, va bien. Finalement, tout le monde le connaît, il a quand même gagné aussi quelque part. C’est intéressant de voir ceux qui ont perdu mais qui en fait ont réalisé des choses, loin des regards médiatiques.
Marko : Par rapport à notre métier, si on pense réellement à notre métier, c’est compliqué, dur, ingrat. Quand il y a des jeunes auteurs qui arrivent, il ne faut pas leur zapper la partie la pire, tout en leur disant de foncer. A un moment donné, cet album-là, ça m’a permis de couper. Je suis dans le moment présent. Je fais mon album, je dessine mes pages, je m’arrête quand elles sont finies. Et j’attends le tome trois. (rires)
aVoiraLire : Il y a un message. (rires)
Marko : Quand je suis comme ça, je ne pense pas au futur.
aVoiraLire : Dans l’album, c’est expliqué également au niveau de l’image miroir. Quand tu te projettes d’une manière positive et ouverte, tu vas en baver pour trouver ton chemin et avancer dessus mais il ne faut pas lâcher en cours de route, ne pas perdre son image de soi, sa projection positive.
Caroline Roque : Oui, il faut la garder à l’esprit.
Bertrand escaich : En dessin animé, on aurait pu montrer que la porte s’ouvre lentement et qu’à tout moment quelque chose peut la refermer, un doute, une peur...
Marko : le chapitrage du tome trois, une porte. (rires)
Caroline Roque : Dans le tome trois, on parle justement de tout ce qui essaye de nous faire dévier de cette image ou de ce chemin. On va en parler sans forcément réutiliser le truc de la porte miroir.
aVoiraLire : La question de ce tome deux est de savoir comment réussir à trouver son chemin.
Caroline Roque : Et Clémentine le trouve.
Bertrand Escaich : On ne voulait pas qu’elle trouve un truc exorbitant, comme devenir star de la chanson.
aVoiraLire : Ce chemin qu’elle trouve est très beau et très réaliste. Ça rappelle qu’on a quelque chose qu’on aime et qui est à côté de soi et que parfois on ne voit même pas. Il faut alors un déclic extérieur pour une prise de conscience.
Bertrand Escaich : D’où l’idée d’envoyer des messages à ses amis et de leur demander comment ils nous perçoivent.
aVoiraLire : Les messages aux amis, une autre idée également présentée dans ce tome deux. J’espère qu’on se reverra pour le tome trois. Merci beaucoup pour ce moment.
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