Pillages – Maxime De Lisle, Renan Coquin – la chronique BD

Critique : La surpêche ne prend pas que des poissons dans ses filets. Son impact est impressionnant : catastrophe écologique, immigration, insécurité et exploitation des pêcheurs…

Dans ces pages, deux mondes se croisent. D’un côté, des pêcheurs pillent les eaux africaines sur des chalutiers illégaux, de l’autre, les membres de l’ONG Ocean Defender luttent comme ils peuvent contre la pêche intensive et illégale. Mais ne vous y trompez pas. Ceux qui font fructifier le système sont, pour certains d’entre eux, des victimes. Le reportage graphique a l’intelligence de multiplier les angles en mettant des visages sur la surpêche. Ici, celui qui attribue les licences de pêche, là un pêcheur qui participe à contre-cœur au système pour nourrir sa famille… Les auteurs explorent les différentes facettes d’un système qui broie des vies. Contrairement à la plupart des BD-reportages contemporaines, les auteurs s’effacent pour mieux faire entendre les voix des personnages. Afin de mettre à notre portée cet univers si particulier, De Lisle et Coquin tirent parti des ressources du médium.

© Éditions Delcourt, 2024 — de Lisle, Coquin

Tout comme certains auteurs l’ont déjà fait dans les BD-reportages écologiques (Davodeau, Lepage…), De Lisle et Coquin exploitent la double page. À chaque fois, elles marquent une pause dans le récit et sont bien sûr liées par une dominante chromatique, « gage de la cohérence narrative » (Thierry Groensteen, La Bande dessinée mode d’emploi). Avec un judicieux mélange de couleurs chaudes ou froides, le récit gagne en fluidité. Mais si certaines de ces doubles pages sont l’occasion d’une respiration, les auteurs en font aussi des pages didactiques. Par le biais de schémas, de graphiques ou encore de cartes, le lecteur digère facilement des données scientifiques.

© Éditions Delcourt, 2024 — de Lisle, Coquin

Ces explications scientifiques servent aussi de transition : on passe d’un lieu à un autre, ou d’un groupe de personnages à un autre. Mais on peut déplorer leur emplacement dans le récit. En effet, elles succèdent immédiatement aux moments durant lesquels les auteurs évoquent une conséquence importante du système, la misère humaine. Ce choix un peu étrange laisse parfois un goût d’inachevé, que la postface finit par gommer.

Camille Etienne nous propose des pistes pour agir à notre niveau, pour nous-mêmes comme pour toutes les autres formes de vie croisées dans ce récit. On sort de cette BD remué, avec l’envie de la mettre au plus vite entre toutes les mains. Comme une urgence…