Le 12 mai 2019
Roman cruel sur un secret de famille, Pierre et Jean atteint une forme d’épure stylistique, qui en fait un véritable chef-d’oeuvre.
- Auteur : Guy de Maupassant
- Genre : Roman & fiction, Classique de la littérature
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 31 décembre 1887
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Date de parution : 31 décembre 1887 / 1er janvier 1888 (en feuilleton)
Résumé : Un couple de retraités parisiens vit au Havre, avec ses deux fils. Le cadet, Jean est blond et sage ; l’aîné Pierre, noir et emporté. Leur vie s’écoule paisible, agrémentée de parties de pêche en mer ou sur la plage. Un soir, ils apprennent qu’un de leurs amis récemment décédé, Léon Maréchal, a institué Jean comme le légataire de son héritage. Intrigué, son frère commence à mener une enquête.
Notre avis : Par sa forme hybride, entre roman et nouvelle, Pierre et Jean constitue une oeuvre singulière qui pose problème à la fois au lecteur et au critique, n’en simplifie pas l’approche : comment envisager ce récit, dont la structure même nous place au coeur de l’équivoque, sinon en considérant que cette ambiguïté générique reflète la polysémie interne de l’histoire ? L’oeuvre, avec sa construction en "trompe-l’oeil" -pour reprendre l’expression de la critique littéraire Marie-Claire Ropars Wuillemier-, présente en effet toutes les apparences de la simplicité, car l’histoire qui s’y déploie s’organise autour de l’enquête d’un personnage -Pierre- sur un adultère dont l’évidence s’impose. Ainsi, les amours extra-conjugales de Madame Roland avec Maréchal et l’hypothèse du fils naturel, fruit de cette relation interdite, constituent rapidement une certitude aux yeux du lecteur.
La présentation de cette trame diégétique sans surprise ne fait que renforcer cette impression de linéarité : les dialogues mettent en scène des stéréotypes vivants, apparemment sans profondeur ; le style de l’auteur s’avère bref et concis, l’instance narrative s’effaçant même à certains endroits, privilégiant l’action au commentaire. Ce n’est certes pas une nouveauté chez Maupassant, qui a toujours oeuvré, en bon disciple de Flaubert, à une immanence de la narration, dissimulant le sens dans le pli des phrases. Mais le style parvient ici à une forme d’épure, qui s’apparente à une manière impressionniste. Le bredouillement d’une femme émue, la réponse d’une serveuse de brasserie, l’auto-satisfaction d’un père, sont des éléments indiciels, dont l’accumulation mène le personnage de Pierre à la vérité du secret.
Le basculement du point de vue narratif - de l’enquêteur vers Jean- marque l’expulsion du perturbateur : elle était déjà symboliquement actée lorsque le personnage, étendu de tout son long sur les rochers, tandis que les autres membres de la famille chassaient les salicoques, passait un relais symbolique, sans évidemment le vouloir. De toute façon, à partir du moment où l’aîné de la fratrie laisse éclater sa colère et la vérité, son destin est scellé, confirmant l’inquiétante prédiction du pharmacien Marowsko au mitan du texte -"Ça ne fera pas un effet"-. Non, vraiment, les accommodements de la morale bourgeoise ne peuvent souffrir que la vérité de l’adultère lui soit jetée à la face. La faute de madame Roland doit être tue, parce qu’il en va d’un héritage qui arrange les uns et les autres et valide le cadet dans l’ordre de l’élection -Jean a toujours été le préféré-.
Or, c’est cette configuration inégalitaire qui constitue le péché originel, sans lequel les soupçons de Pierre ne se seraient pas éveillés, non seulement contre sa famille, mais contre une classe sociale à laquelle ce roman cruel prête des invariants, assumant sa filiation idéologique avec le grand Gustave. Le surprenant héritage d’un ami des parents, amorce un long parcours d’investigations solitaires, qui s’apparente à un chemin de croix, au terme duquel Pierre devient celui qu’on punit pour avoir voulu savoir. A la fin, tout rentre dans l’ordre, parce qu’on ne s’évertue pas à renverser le modèle hypocrite de la bourgeoisie sans en payer le prix. Le protagoniste est contraint à un départ humiliant et silencieux -le père est absolument préservé des éclats- et l’illusion du bonheur familial pourra s’honorer d’une jeune veuve prise dans ses filets. A présent riche, bientôt marié, Jean plastronnera sans doute, toute honte bue, sa mauvaise conscience définitivement emportée par un transatlantique.
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