Peer Gynt. Acte 1 - Antoine Carrion - la chronique BD

Ce projet d’Antoine Carrion est une nouvelle étape dans une carrière déjà bien remplie. Après la magnifique et récente trilogie Nils, c’est donc vers le théâtre et le Nord que puise l’auteur, qui adapte une pièce souvent méconnue en France mais célèbre dans les contrées que bordent la mer du Nord. Rude tâche, et les cinq actes seront donc réduits en deux tomes de bande dessinée, avec un premier volume qui donne le ton, l’ardeur et l’atmosphère. On réservera l’atmosphère pour le dessin, afin de se concentrer sur le ton et l’ardeur déployés : chaque dialogue, chaque pensée est l’occasion d’un travail de traduction, pour relier au maximum le texte à sa poésie, son rythme et sa fougue initiales. Les sonorités se répètent, assonances et allitérations amenant une langue soutenue certes désuète, mais terriblement dans la tonalité. Car l’ardeur du héros est à l’image d’un siècle, d’une époque et d’une mélancolie. Il est le romantique par essence, un Julien Sorel ou un Hernani en quête de rien, sinon de lui-même. Antoine Carrion a ainsi pu faire revenir ce mouvement, auxquels les auteurs scandinaves n’ont pas été indifférents, notamment Henrik Ibsen.

Antoine Carrion / Soleil

Cette vigueur se retrouve donc dans le dessin, qui crée une atmosphère proche des gravures et tableaux du même courant, et l’on sent Friedrich, Girodet ou Füssli se mêler dans ce style toutefois très moderne. Le contraste permanent du noir et blanc offre une nature hostile, farouche et souvent dans l’ombre, comme si les grands arbres ne devaient faire que cacher et jamais apaiser les personnages. Ceux-ci sont beaux comme des statues, souvent seuls rayons de vie dans les pages, éclairant de leurs figures pâles les herbes, les murs et les grottes d’une Scandinavie prisonnière de la nuit. Là encore, le travail éditorial de cette collection Métamorphose permet de proposer une œuvre en forme de flambeau dans le noir, maigre étincelle dans un monde qui semble devoir retourner au chaos et aux ténèbres des origines.

Antoine Carrion / Soleil

Après ce premier acte réussi, l’interlude sera peut-être long pour attendre le prochain, mais le lecteur impatient voudra achever le périple intérieur de ce Peer Gynt, antihéros mélancolique et dont les mensonges virent au talent.