Le 7 juillet 2020
Dans les recoins les plus pauvres de la Grèce, une bande de jeunes profite de l’été, avec des jeux qui se transforment souvent en rapports de pouvoir et de violence. Le film évoque un microcosme où exprimer la douleur est tabou. Un scénario et une mise en scène remarquables nous invitent à explorer l’affliction indicible des personnages.
- Réalisateur : Sofia Exarchou
- Acteurs : Thomas Bo Larsen, Dimitris Kitsos, Dimitra Vlagkopoulou, Enuki Gvenatadze, Lena Kitsopoulou, Yorgos Pandeleakis
- Genre : Drame
- Nationalité : Polonais, Grec
- Distributeur : Tamasa Distribution
- Durée : 1h40mn
- Date de sortie : 8 juillet 2020
- Festival : Festival international du film de Saint-Sébastien, Festival du Film documentaire de Thessalonique
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– Année de production : 2016
Résumé : Le vent souffle la poussière dans une vallée colorée d’un stade Olympique abimé par le temps et la pauvreté. L’été en Grèce n’est pas toujours le glamour que l’on voit dans les images touristiques. Sofia Exarchou évoque la misère du quotidien d’une bande de jeunes, qui passent leur temps dans un stade Olympique. Les vestiges des JO de 2004, mais aussi la réminiscence de la rayonnante Grèce antique, berceau des jeux Olympiques, flottent dans l’ambiance dystopique de ce film où les jeunes expriment leur joie de vivre, bien qu’aucun futur ne se dessine à l’horizon (on pense à "Pitié pour eux" - "Los Olvidados" - de Luis Buñuel). Depuis la première interaction entre les jeunes, on réalise leur façon de se comporter entre eux, avec un mélange entre jeu, violence, cruauté et compétition. On suit Dimitris et Markos dans leur quête pour gagner de l’argent en accouplant leurs chiens, et la relation qui se produit entre Anna, jeune ex-athlète blessée et Dimitris. Anna fait partie d’une petite bande de filles qui sont toujours à la périphérie des jeux que privilégie la bande des garçons. Le rapport d’Anna avec les autres est complexe : elle joue à séduire avec des danses, et elle est en même temps mortifiée par la brutalité avec laquelle les garçons se comportent avec elle. Cette complexité entre violence et amitié, entre besoin de contact humain et besoin de se protéger, est en fait le dilemme central de tous les personnages.
- Copyright Tamasa Distribution
Critique : Tout au long du film, on voit les personnages être blessés, physiquement et moralement. Pourtant, aucun dialogue ne le verbalise. C’est l’un des mérites les plus forts de ce long métrage, le pari transitant par le scénario et la mise en scène : tout raconter, y compris les émotions les plus profondes, à travers les actions, les jeux, les danses et les regards. Même les dialogues, qui restent assez minimalistes, se rapportent à tout sauf à ce que pensent et ressentent vraiment les protagonistes. Toutefois, cette profondeur psychologique est toujours claire, car même si les mots ne nomment jamais explicitement, on devine par des micro-gestes.
En effet, ce film pousse à l’extrême un défi qui se pose à tout scénariste et réalisateur : celui de mettre en images, de narrer, avec des attitudes, ce qui est de l’ordre du non-verbal. Tout est dans le jeu et la direction des acteurs, la vivacité de leurs corps et de leurs mouvements, le cadrage et l’image, très fluide lorsqu’on suit les comportements des personnages qui transportent leur énergie. On est ainsi témoins de la jovialité dans son expression la plus physique, la plus coquine, la plus insouciante. Ces jeunes ne semblent pas s’inquiéter de sortir de « ce trou », comme on le constate souvent dans ces histoires de gens qui habitent des petits villages, vivent la pauvreté.
Le microcosme où dominent ces voyous, violents et libres, prend le soleil estival et leurs sensations sont évoquées grâce à la photographie, gaiement colorée et chaude, symbole d’une joie juvénile, qui s’accommode aussi de tonalités d’un vert plus pâle, en accord avec une impression plus étrange, où se mêlent le désert et la dystopie.
L’aspect si peu « scénarisé » des émotions, qui se reflètent plutôt dans les postures, semble le résultat d’un bon synopsis : celui-ci prend en compte l’indicible de la douleur adolescente, qui n’est pas forcément claire dans l’esprit de ces jeunes. Autrement dit, on sent à la fois la difficulté et l’inconscience de cet âge, le fait qu’il est parfois plus facile d’interagir par des jeux ou la danse que de s’exprimer.
- Copyright Tamasa Distribution
Dans ce film, il y a une réflexion centrale sur les rapports de pouvoir et la violence, sur la manière dont ils peuvent s’incarner par le jeu. En effet, tous les personnages font usage de leur corps, pour exprimer leur rage ou leurs désirs. Chaque relation, qu’elle soit en groupe ou entre deux individus, est motivée par la compétition, des moments ludiques ou un pur désir d’agression. On voit clairement ici les cycles de perpétuation de la brutalité, la manière dont elle se transfère de corps en corps, comme un pendule à billes qui inflige une chaîne d’actions et de réactions par la force et le mouvement. On voit ces cycles, tout d’abord au sein de la bande, mais aussi à travers la cruauté du patron envers la mère de Dimitris, attitude que son fils essaye de contrecarrer et qu’il reproduit finalement dans son rapport à Anna. Pour cette dernière, le jeu de pouvoir et séduction auquel elle s’adonne est très compliqué, car c’est elle qui a besoin d’être rassurée, de se sentir aimée. Et en même temps, c’est une source de souffrance, un cauchemar dont elle ne ne parvient pas à sortir.
- Copyright Tamasa Distribution
Les douleurs se racontent souvent par les cicatrices. Celles d’Anna nous font aussi rentrer dans son intériorité : quelques blessures la font rire, d’autres ne peuvent être verbalisées. La fragilité, le mystère et la complexité de ce personnage sont indéniablement rendus crédibles grâce au talent de la jeune actrice, Dimitra Vlagkopoulou. Elle exprime une dualité très mystérieuse lorsque, par exemple, elle danse, sourit, et soudain se livre à la peine et à la désolation. Elle n’est pas la seule qui ne sait pas extérioriser sa douleur. On a vraiment l’impression qu’il s’agit d’une sorte d’interdit, de non-dit entre ces jeunes, comme si se plaindre ou ressentir de la tristesse n’était pas permis, car ce réflexe dévoilerait une faiblesse dans ce milieu si difficile. Résultat : les plus grands traumatismes que vivent les personnages sont souvent exprimés par des rires forcés.
- Copyright Tamasa Distribution
Original par son style et son écriture, Park annonce une carrière très fructueuse. Le film nous hypnotise à la fois grâce à ses mouvements glissants et la force de ses personnages, la violence de leurs actions. Le spectateur est essentiellement contaminé par la joie de vivre qui subsiste dans la plus grande misère, malgré l’absence d’espoir.
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