Le 11 décembre 2018
- Réalisateur : Juan Antin
- Distributeur : Haut et Court
À l’occasion de la sortie de Pachamama, le nouveau film d’animation des productions Folivari, aVoir-aLire a rencontré le réalisateur Juan Antin dans leurs studios, basés à Montrouge.
aVoir-aLire : Lorsque l’on découvre votre film pour la première fois, on a l’impression qu’il fait la synthèse de toutes les techniques d’animation traditionnelles. Comment avez-vous fabriqué ces décors, ces images et ces décors ?
Juan Antin : C’est intéressant ce que vous dites, car dans ma carrière, j’ai réalisé des courts-métrages et un autre long-métrage [Mercano le martien, 2004, ndlr] et j’aime beaucoup l’expérimentation : j’ai fait du stop motion en plasticine, j’ai fait aussi de la peinture sur verre, de l’animation image par image, de la prise de vues réelles et de l’animation 2D et 3D. J’ai essayé toutes les techniques. D’ailleurs, au départ, Pachamama devait être un film en stop motion, j’avais même tourné un pilote en Argentine où les personnages étaient en céramique. Le film a évolué et nous avons trouvé un producteur en France, Didier Brunner, qui nous a déconseillés le stop motion car il n’y a pas cette tradition en France, pas de studios capables de faire un film en stop motion de la qualité qu’il visait. Au vu du budget, il a opté pour la 3D. J’étais un peu déçu car je tenais personnellement au stop motion, mais j’ai quand même réussi à avoir de la matière. Pachamama est un film qui parle de la Terre et je trouvais que la 3D ne collait pas à ça. Nous avons fait les premiers essais, avec Maria Hellemeyer, responsable de la création de l’univers visuel du film, à partir d’aquarelles que j’avais réalisées. Nous avons réussi à faire en sorte que cette matière reste dans les décors et les personnages, en choisissant des textures qui ressortent comme des taches d’aquarelles. Nous avons aussi utilisé l’aquarelle pour peindre les décors du film. La directrice artistique, Aurélie Raphaël, a ensuite adapté tout cela à la 3D.
Les personnages sont donc bien animés en 3D.
Oui. Nous avions fait des personnages modélisés en argile et en céramique et nous nous en sommes servis pour la création des personnages. Ils ressemblent donc vraiment à la poterie précolombienne. Ça, c’est pour les villageois. Pour les Incas, qui sont un peuple différent, nous les avons conçus en nous inspirant de l’architecture inca, avec des formes très géométriques qui font écho à l’empire. Il fallait trouver quelque chose qui distingue les villageois des Incas. Les villageois semblent faire partie du décor car dans la culture précolombienne, la Pachamama, les hommes et les animaux sont une seule et même chose.
Justement, dès la première image, la Terre est représentée comme un personnage à part entière, et tout au long du film, vous ne cessez de mêler réalisme et onirisme. Pourquoi ce parti pris ?
D’abord parce que c’est un récit d’apprentissage qui suit le parcours de deux enfants : Tepulpaï et Naïra. Au début du film, Tepulpaï est impulsif et égocentrique mais apprend peu à peu à découvrir sa propre culture. Naïra, à l’inverse, est très sage. Mais ils finissent tous les deux par partir découvrir le monde sans l’accord des adultes et ils ont bien raison. C’est aussi un parti pris stylistique. C’est quelque chose que personnellement j’aime bien. Faire des contrastes entre le réalisme et l’onirisme, faire basculer le spectateur dans différents états me plait beaucoup. La première partie du film enchaîne les séquences douces et oniriques jusqu’à atteindre un point de rupture avec les Incas, qui brise complètement le monde de Tepulpaï et Naïra et les oblige à être dans un autre état de conscience.
- Copyright Folivari / 02B Films / Doghouse Films / Kaïbou Production Pachamama Inc / Blue Spirit Studio / Haut et Court Distribution
Si Tepulpaï et Naïra partent à l’aventure sans l’autorisation de leurs aînés, les adultes ne sont jamais montrés comme étant leurs ennemis. Au contraire, ils se construisent grâce à la Walumama et au grand chaman.
Je pense que cela vient des traditions ancestrales où la place des plus âgés est respectée. Il y a un respect pour les plus âgés et les ancêtres, qui ne sont jamais considérés comme vraiment morts, que l’on prie et à qui on apporte des offrandes parce qu’ils sont les gardiens du village. La Walumama est chargée d’entretenir la grotte des ancêtres parce qu’elle s’apprête à devenir une ancêtre. Le chaman apparaît comme le chef et la figure paternelle du village. Et même si Tepulpaï et lui sont en désaccord, il y a toujours une bienveillance entre eux. Le chaman est aussi d’une grande aide pour les deux enfants lorsqu’il les aide à revenir au village, sous forme de condor.
Que symbolise le condor ?
Pour les peuples amérindiens, c’est un animal de pouvoir et le messager des dieux. Dans le chamanisme, il y a trois mondes : le monde d’en bas, la Pachamama, la terre où vont les ancêtres, avec un animal de pouvoir, le serpent. C’est la raison pour laquelle, dans le film, les serpents gardent la grotte des ancêtres ; il y a le monde du milieu, la terre des hommes, avec le puma comme animal de pouvoir, et c’est pourquoi l’empereur inca est représenté par le puma. Et enfin, le condor représente le monde d’en haut, le monde des dieux.
La musique occupe une place très importante. Y avait-il une volonté d’épouser la musique traditionnelle précolombienne ?
Plus que ça. La musique traditionnelle, on ne la connaît pas. Il n’y avait pas d’enregistrement, donc on ne sait pas quelles musiques ils jouaient ni comment ils les jouaient. On a juste retrouvé des instruments dans des tombes. Je voulais une musique qui soit inspirée de la musique précolombienne, ce qui n’avait jamais été fait avant. Je me suis demandé qui pourrait le faire car à cette époque la musique était un instrument spirituel qui permettait d’entrer en contact avec les autres mondes. Je voulais restituer cette dimension de la musique dans Pachamama. Et pour complexifier encore mon idée, je voulais intégrer la musique conquistador pour les Incas. J’aime beaucoup la musique baroque et de la Renaissance. Je voulais avoir des instruments à corde, des cuivres, des violons qui créent une rupture face à une musique plus contemplative avec des flûtes et des tambours, mais finalement les deux musiques se répondent. Pierre Hamon fait de la musique ancienne européenne mais est passionné par la musique précolombienne. Je l’ai rencontré par hasard et il m’a fait découvrir sa collection d’instruments : des flûtes vieilles de deux mille ans, de la musique qu’il faisait avec des plumes. Nous avons commencé à travailler ensemble et il a su mêler ces deux univers.
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Quelles sont vos influences, les films, les réalisateurs, les techniques qui vous inspirent ?
Il y en a tellement que je ne pourrais pas les énumérer. Au niveau de l’animation, j’aime beaucoup le stop motion, on retrouve aussi un peu de Miyazaki, d’Ocelot qui est très doué pour raconter des histoires. J’aime aussi le cinéma d’animation hollywoodien, L’Étrange Noël de Monsieur Jack est un film qui m’a beaucoup marqué. J’étais jeune quand je l’ai découvert au cinéma et je suis ressorti de la salle avec la certitude que je voulais faire du cinéma d’animation.
Le schéma narratif du film emprunte au conte de fées, avec une situation initiale, un élément perturbateur, des péripéties, un élément de résolution et une situation finale. C’est très simple et très lisible. On sent vraiment une volonté de s’adresser à tous les publics.
Oui, je voulais raconter une histoire pour les enfants. Mercano le martien était plus un film pour les ados et les adultes. Pour Pachamama, je voulais m’adresser aux enfants ; le message que je veux faire passer leur est destiné car ce sont eux qui peuvent changer notre rapport à la Terre et apporter des solutions aux problèmes environnementaux. Il fallait donc faire un conte simple. Au début, j’avais écrit un scénario très compliqué. Grâce à Didier Brunner, le travail de réécriture a permis une simplification. Je trouve qu’il y a de la force dans la simplicité. L’intrigue de Pachamama n’est pas difficile à suivre, mais cela permet de développer l’émotion. Pachamama est un film contemplatif, qui va plus vers l’émotion que vers la réflexion, et pour permettre cela, il fallait une narration simple.
Avez-vous d’autres projets de films ?
J’ai mis quatorze ans à développer Pachamama et j’ai trois autres projets dont un film en prises de vues réelles. Je ne peux pas en parler car c’est à un stade très embryonnaire. J’ai aussi l’idée d’une suite pour Pachamama, car avec tout ce que j’avais écrit, j’ai suffisamment de matière pour faire un second opus.
Propos recueillis à Montrouge, le 29 novembre 2018.
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