Le 11 décembre 2018
- Distributeur : Haut et Court
À l’occasion de la sortie de Pachamama, le nouveau film d’animation des productions Folivari, aVoir-aLire a rencontré le producteur Didier Brunner dans ses studios, basés à Montrouge.
aVoir-aLire : Comment êtes-vous arrivé sur un projet aussi original et ambitieux que Pachamama ?
Le coproducteur Olivier de Bannes et l’auteur Juan Antin m’ont contacté il y a quatre ou cinq ans. J’étais sur le point de quitter ma société précédente, Les Armateurs. À l’époque, j’avais accroché à l’idée sans intention de donner suite puisque je n’allais pas rester dans cette société. Lorsque j’ai repris Folivari avec mon fils, ma fille et des amis, j’ai été recontacté par eux lorsqu’ils ont su que j’avais cette nouvelle société. Ils m’ont reproposé le projet avec un développement qui avait été fait chez Foliascope, à Valence, en stop motion, en pâte à modeler, mais d’une façon très naïve avec un scénario très compliqué, mais sur un sujet qui était passionnant. On a décidé de financer le développement, remanier le scénario et l’univers visuel avec un 3D à rendu 2D, et à partir de là, nous sommes partis sur un projet revisité et repensé, avec une équipe également repensée car composée de personne issues à la fois de la 2D et de la 3D et non pas du stop motion.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le scénario et les thématiques de Pachamama ?
La découverte d’une autre culture et d’une autre civilisation qui a été très bousculée par le colonialisme et l’expansionnisme européen et chrétien, et qui avait une spécificité ethnique et culturelle riche, qui a été étouffée. Mais cette civilisation a tout de même réussi à se réapproprier cette culture européenne et chrétienne et a resurgi à l’intérieur de la civilisation des colonisateurs, ce qui prouve toute sa puissance. Notre volonté est de montrer aux enfants occidentaux que le monde n’est pas fait que de leurs certitudes d’enfants occidentaux, qu’il y a aussi des civilisations riches qui existent ou ont existé et qui sont dignes d’intérêt et porteurs d’un imaginaire différent du nôtre.
Les thèmes de l’écologie et de l’environnement font écho aux crises politiques que la France et l’Europe traversent sur la transition écologique. Pensez-vous que la sortie du film soit bienvenue en cette période ?
La dimension écologique du film est multiple : c’est à la fois l’écosystème de la civilisation précolombienne, à la fois une écologie d’agriculteurs pleins de bon sens. La richesse à préserver est celle qui fait manger et que l’on cultive et non pas celle qu’on spécule. Il fallait montrer que cette civilisation précolombienne avait aussi un bon sens paysan qui la mettait en osmose avec le milieu naturel dont ils sont dépendants. C’était vital pour eux d’être en symbiose avec la Nature. C’était important de faire passer un message à la fois sur la liberté des peuples à avoir leur propre culture, leur indépendance et leur dignité, sur l’écologie et le fait que la spéculation et le désir d’enrichissement aboutit à des surexploitations et est donc, d’une certaine façon anti-écologique. On le voit très bien dans le film, lorsque les Espagnols arrivent au village de Tepulpaï et sont fascinés par l’or qui coule à flots à fleur de terre. Leur principal objectif est de conquérir ces terres en éliminant tous ceux qui y habitent et les cultivent. Tous ces messages sont subliminaux dans le film, on ne peut pas dire que Pachamama soit un film à visée écologique, mais le message est là. Il y a deux messages : un de tolérance vis-à-vis de ceux qui ont des cultures différentes, et un message écologique vis-à-vis de l’environnement dans lequel nos économies sont enracinées.
- Copyright Folivari / 02B Films / Doghouse Films / Kaïbou Production Pachamama Inc / Blue Spirit Studio / Haut et Court Distribution
Les images de Pachamama sont en 3D avec un rendu 2D. Cela a-t-il été difficile de réunir une équipe capable de créer une esthétique si particulière ?
On a choisi la technique la mieux maîtrisée dans notre environnement direct. En France, on a une culture très artisanale du stop motion, contrairement aux Anglais, comme les studios Aardman, qui sont des maîtres du stop motion. Quand le réalisateur nous a proposé de réaliser le film en stop motion – ce qui avait un sens puisqu’il voulait s’inspirer des poteries et statuettes précolombiennes pour donner une matière et une couleur spécifique au film. le fait de monter ce film en stop motion coûtait un peu d’argent, nous obligeait à avoir recours à une technique qui ne compte pas suffisamment de talent en France pour nous permettre de maîtriser parfaitement la fabrication d’un long-métrage. Certes, Ma vie de courgette a été fait en stop motion, mais avec la participation d’artistes suisses, qui ont aussi la culture de cette technique. Nous avons travaillé avec le studio Blue Spirit, qui sait modéliser et animer les personnages en 3D pour ensuite les rendre en 2D. Pachamama se passe dans les montagnes, dans des grands espaces et met en scène des personnages inspirés des poteries précolombiennes, c’est pourquoi nous voulions conserver du volume et de la perspective comme on l’aurait fait si cela avait été un film en 3D. Cela nous permettait d’avoir les économies d’échelle de la 3D, c’est-à-dire de pouvoir animer les personnages de façon plus rapide qu’en 2D traditionnelle, et d’avoir un rendu « 2D trois quart » où la 2D avait quand même un peu de volume.
En tant que producteur, était-ce important pour vous que le film s’inscrive musicalement dans la tradition précolombienne, même sans partition ni enregistrement ?
Effectivement, on n’a pas de partition mais on a des instruments qui pour la plupart ont entre deux mille et trois mille ans : des flûtes de pan en terre, des vases avec de l’eau qui font de la musique en fonction de l’inclinaison qu’on leur donne. Je pense que comme dans tout type de film d’animation, la musique est aussi importante que l’univers graphique. Elle n’est pas redondante à l’image ni une simple illustration des décors. La musique, c’est un autre discours du film et une autre façon de faire passer l’émotion, complémentaire des dialogues, de la scénographie et de la création des personnages, donc elle doit être en dialogue permanent avec l’univers visuel et le montage du film. Nous avions envie d’une musique très connotée et très liée à l’Amérique Latine. Juan avait très envie d’être au plus près d’une espèce d’ethno-vérité sur l’univers précolombien de son film. C’était son obsession sur l’univers graphique et visuel du film. Il a eu la même démarche pour la musique, qu’il voulait très enracinée dans l’histoire précolombienne de ses personnages. Il se trouve que le professeur de violon de sa fille était une femme mariée à un ethno-musicien qui travaillait sur la musique précolombienne et avait fait beaucoup de recherches dessus. Juan nous l’a présenté, et il est venu nous voir avec des plumes de condor, des vases, des flûtes de pan et nous a fait un petit concert privé dans le bureau, en dansant avec ses plumes de condor qu’il utilisait comme percussions. Nous avons été immédiatement séduits par ce qu’il faisait avec le souci de ne pas faire une musique trop intello mais qui soit aussi grand public. Pierre Hamon a fait un travail formidable. Il a immédiatement compris ce que nous voulions : une musique ancrée dans la culture précolombienne et en même temps écrite pour la dramaturgie du film. Juan et Pierre ont travaillé en osmose, parfois même lors de séances privées puisqu’ils vivaient à cent mètres l’un de l’autre. La musique est pour moi l’une des plus grandes réussites de Pachamama.
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Une fois qu’on a terminé un film comme celui-ci, est-ce difficile de le distribuer et de le rendre accessible au plus grand nombre ? L’animation conserve-t-elle toujours son statut un peu marginal dans l’offre cinématographique ?
Ce n’est jamais facile d’ouvrir une fenêtre sur un monde inconnu car on est toujours un peu centré sur son univers intime et personnel. Quand on a mis ce film en chantier, on avait déjà choisi notre distributeur, Haut et Court, qui avait envie de nous accompagner, puisque sa ligne éditoriale n’est pas très éloignée de la nôtre. Laurence Petit et Carol Scotta ont envie d’aller vers un cinéma d’animation alternatif pour les enfants et la famille, c’est-à-dire qui propose autre chose que ce que propose le cinéma d’inspiration hollywoodienne ou de pur divertissement, même s’ils abordent aussi des sujets qui peuvent être importants. Nous abordons ces sujets différemment, avec une narration qui laisse du temps au temps, se développe plus comme un scénario de film classique en prises de vues réelles qu’une comédie classique, avec une histoire qui n’est pas seulement burlesque et qui cherche systématiquement le gag et le spastick pour faire réagir et jubiler le public. Notre idée, c’est d’aller vers des films qui racontent vraiment des choses émotionnellement fortes qui posent des questions aux enfants et qui peuvent, à la suite du visionnage du film, inspirer des discussions aux parents avec leurs enfants. Nous abordons des sujets plutôt graves, mais avec une approche qui est celle du conte et nous essayons de bâtir une histoire qui ne soit pas trop manichéenne non plus.
Comment se passe le tournage d’un film d’animation par rapport à un film en prises de vues réelles ?
Nous venons justement de faire un film en prises de vues réelles : en sept semaines, il a fallu mettre en boîte le film, avec un rythme de production qui n’a rien à voir. Pour un film en prises de vues réelles, nous travaillons en sept semaines ce que nous faisons en deux ans pour un film d’animation. Le temps de l’animation et celui de la prise de vue réelle n’ont rien à voir. Aussi, nous ne travaillons pas avec les mêmes créatifs. En animation, nous travaillons avec des animateurs et les comédiens font des voix, mais les animateurs sont en fait des acteurs puisque ce sont eux qui font bouger et vivre les personnages sous la direction d’un chef animateur et d’un réalisateur. Je dirais que le cinéma d’animation est un peu introverti pour ceux qui le font, où l’on n’a pas la même gestion de la fabrication qu’avec un film en prises de vues réelles. Dans un film de fiction en prises de vues réelles, vous avez un studio, des acteurs, des personnes vivantes avec un égo considérable qu’il faut diriger, une fragilité qui est celle de l’acteur et qu’il faut gérer aussi. Nous, en animation, on gère du temps et aussi une forme de fragilité créative de la part de nos animateurs et des gens qui travaillent sur nos productions, mais dans un temps complètement dilaté. On ne fait pas un film d’animation en moins de deux ans, sans compter l’écriture du scénario et la pré-production. Il nous a fallu cinq ans pour faire Pachamama et quatorze ans pour le réalisateur, qui avait ce projet depuis bien plus longtemps. En plus, nous avons tendance à aller vers du cinéma d’auteur, on s’adresse donc à des artistes qui portent leurs projets et font corps avec un univers graphique, visuel et un sujet, ce qui nous oblige à être très imaginatifs pour réussir à les produire. Pachamma a eu un budget de six millions et demi d’euros. Or, Juan Antin, personne ne le connaissait. Persuader les distributeurs, les chaînes de télévision, les distributeurs internationaux, les SOFICA de financer un film à six millions et demi d’euros réalisé par un cinéaste argentin dont le premier long-métrage était un film fauché, réalisé avec trois élastiques et quatre punaises, a été un vrai combat de fond.
Propos recueillis à Montrouge, le 29 novembre 2018
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