Le 14 février 2015
Sur un sujet qui aurait pu être polémique, Sébastien Bailly livre un court-métrage délicat et prend à bras le corps une vérité universelle.


- Réalisateur : Sébastien Bailly
- Acteurs : Marie Rivière, Hafsia Herzi, Bastien Bouillon
- Genre : Drame, Court métrage
- Nationalité : Français
- Durée : 20 mn
- Date de sortie : 29 novembre 2014

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Sur un sujet qui aurait pu être polémique, Sébastien Bailly livre un court-métrage délicat et prend à bras le corps une vérité universelle.
L’argument : Hafsia, étudiante en histoire de l’art, fréquente un garçon, prépare ses examens. La jeune fille, constamment voilée en public, doit commenter à l’oral « La Grande Odalisque » d’Ingres. Et elle doit le faire sans son hijab.
Notre avis : Une jeune fille court, suivie par une caméra fluide. Quand elle s’arrête et relève sa capuche, on voit qu’elle porte un hijab -et non un voile, comme elle le dira plus tard à son ami. Or ce hijab, qui on le comprend vite semble constituer le suspens du film, ne sera pas le prétexte à une réflexion polémique. Pas de thèse, pas de vilains racistes, pas de tirade enflammée. Non, nous sommes dans la retenue, davantage dans la litote que dans l’hyperbole. Pas de religion : Hafsia le dit très tôt, ce n’est « pas une question de croyance ». Et l’enjeu sera donc, apparemment, de comprendre pourquoi la jeune fille le porte. Mais le titre, trop explicite, ruine cette piste. De même, malgré une hésitation, le fait de savoir si elle enlèvera ou non son hijab n’a rien d’un climax. Il semblerait donc que l’intérêt, réel, qu’on porte au film se niche ailleurs que dans cet attribut. La mise en scène nous donne un indice : quand Hafsia se retrouve face au tableau d’Ingres, le découpage comme le cadrage qui morcellent la femme nue et l’unissent, en champ-contrechamp, à la jeune fille, soulignent l’importance de la rencontre et du lien qui va les unir. Il nous semble que c’est là que se noue le thème sous-jacent mais majeur du court-métrage, dans cette rencontre intime, cette re-connaissance, cette identification. Loin du verbiage du jeune homme, « addict à Proust », Hafsia nous montre en quelques mots, lors de son examen, qu’une œuvre d’art n’est pas un élément froid que l’on peut détailler avec des chiffres et des descriptions : elle porte en elle nos interrogations et peut-être de subtiles réponses. Ce que l’étudiante découvre, c’est la polysémie de l’art, qui s’adresse à la fois à tous, et à chacun d’une manière différente. Le regard que lui lance à deux reprises la professeure, interprétée par la très rohmerienne Marie Rivière, enregistre cette prise de conscience. Le tableau a servi d’explication métaphorique, de lien entre la vie et l’art, et enfin, sans doute, de moyen de réussir un examen.
© 2013 Happy Grading
Dès le début de ce beau portrait de femme, on pense à Rosetta : la course, les travellings, mais aussi l’entêtement, la manière de diriger sa vie en ligne droite, nous rappelle le film des Dardenne. Comme ici, on suit quasi-exclusivement le parcours de l’héroïne, dans ses embûches (certes plus importantes pour Rosetta). Mais Sébastien Bailly disperse dans son film de petits effets de réel énigmatiques qui lui apportent un sel supplémentaire : on ne saura pas, par exemple, d’où vient le silence entre Hafsia et son père. Nous avouons apprécier les non-dits de Où je mets ma pudeur, qui résonnent en nous pour prolonger, bien au-delà de la vision, une histoire ténue, mais riche de possibilités.