Le 17 mai 2024
Récit sur les non-dits et l’hypocrisie qui rongent les familles de la Zambie, sur la condition des femmes dans le grand continent africain, On Becoming a Guinea Fowl est une incontestable réussite dans un pas de côté narratif où le surréalisme vient tempérer la réalité tragique.
- Réalisateur : Rungano Nyoni
- Acteurs : Henry B.J. Phiri, Elizabeth Chisela, Susan Chardy
- Genre : Drame, Politique
- Nationalité : Britannique, Irlandais, Zambien
- Durée : 1h35mn
- Festival : Festival de Cannes 2024
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– Festival de Cannes 2024 : Un Certain Regard
– Cannes 2024 : Prix de la meilleure réalisation Un Certain Regard
Résumé : Sur une route déserte au beau milieu de la nuit, Shula tombe sur la dépouille de son oncle. Alors que des funérailles se préparent, Shula et ses cousines mettent en lumière les secrets enfouis de leur famille de la classe moyenne zambienne. Dans ce film surréaliste et vibrant, la cinéaste Rungano Nyoni sonde les mensonges que nous nous racontons à nous-mêmes.
Critique : La séquence s’ouvre et d’emblée le spectateur est plongé dans une ambiance surréaliste où le vrai et le faux se superposent dans un écrin de paillettes. Shula porte des lunettes de soleil en pleine nuit, et une sorte de coiffe brillante, comme si elle arrivait d’un autre monde que la Zambie, une contrée mystérieuse de fête et d’argent. Mais son regard croise les bas-côtés de la route et déjà, immanquablement, elle est submergée par la découverte du corps de son oncle, à même l’asphalte. On Becoming a Guinea Fowl demeure le premier film zambien à figurer dans la sélection d’une des compétitions cannoises. C’est peu dire de la rareté de ce type de long-métrage, même si sa réalisatrice, Rungano Nyoni, faisait partie des jurés de la compétition Un Certain Regard en 2023. Nous sommes là face à un ovni du cinéma africain, où la photographie soignée, l’attention à la mise en scène, les décors et les costumes rivalisent sans complexe avec le cinéma occidental.
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On Becoming a Guinea Fowl est une œuvre baroque qui annonce, à pas feutrés, la réalité d’un monde où les hommes sont dans la toute-puissance sexuelle et patriarcale, les femmes ne faisant que se soumettre à un ordre basé sur l’omerta et la tradition. Pour autant, si l’oncle Fred est bien mort, l’ombre de ses agissements continue de hanter sa veuve, ses nièces et les différents enfants qu’il a eus de plusieurs couches. La barbarie de ses actes hélas s’efface dans un rituel funéraire hors norme où les larmes de crocodile, les fastes font allégeance à toutes les zones sombres de l’histoire de l’homme. Le film n’intervient pas tout à fait au hasard dans un contexte où #MeToo peine à dépasser les frontières de l’entre-soi occidental. Pourtant, la violence sexuelle et incestueuse n’a pas de limite dans le monde, mais rares sont les paroles qui prennent en compte les populations dominées de ce qu’on appelle le Tiers monde ou les pays émergants.
Mais On Becoming a Guinea Fowl n’est pas seulement un film politique. C’est une fable sociale et familiale où se mêlent le réalisme avec des apparitions quasi fantastiques. Rungano Nyoni se plaît à brouiller les lignes de la narration dans un ensemble très abouti d’images colorées et intenses. Les personnages se multiplient, avec le mystère de ces pintades sorties d’une émission de jeunesse, qui complètent l’énigme du titre. La réalisatrice multiplie les effets stylistiques au bénéfice d’une dénonciation surtout pas frontale des conditions d’émancipation et de respect des femmes, a fortiori mineures. Derrière la mort, se joue le drame de la succession et des règlements de compte qui hantent l’inconscient des familles. Là où en Occident la psychanalyse a permis aux enfants d’exister comme des êtres véritables, le non-dit et le secret nuisent à la sérénité des rapports sociaux au sein des familles. Pour une fois, ce cinéma ne dénonce par la colonisation mas regarde l’Afrique contemporaine dans ses opportunités de développement et les entraves psychiques qui la contraignent.
On Becoming a Guinea Fowl est un film important qui annonce l’arrivée sur les écrans d’un cinéma novateur africain. La sélection d’un Certain Regard avait récompensé en 2023 sous le label de la Nouvelle voix Augure de Baloji et avait donné le prix de la Liberté à Mohamed Kordofani pour Goodbye Julia, témoignant de la vivacité du cinéma africain. Cette œuvre baroque, aussi émouvante que resplendissante, devrait conquérir les cœurs des spectateurs.
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