Noix de coco - la critique du film

Notre avis : Premier film des Marx (à part semble-t-il un muet de 1921 perdu), Noix de coco est la transposition filmée d’une revue, et cela se sent : les extérieurs réduits à une toile peinte ne font pas illusion ; œuvre de studio, ce métrage très inégal souffre également de deux défauts patents : d’une part des chansons et chorégraphies médiocres qui alourdissent et briment le génie comique des frères ; d’autre part la fadeur du couple vedette, très mièvre et inconsistant. Cela fait certes beaucoup, et certains moments sont pour le spectateur contemporain une épreuve. Fort heureusement, il y a le reste …

Et le reste, c’est évidemment la puissance comique des Marx, qui s’exerce à plein dans un lieu clos, ici un hôtel improbable, machine à perturber l’intrigue d’une efficacité redoutable. On le sait, cette intrigue inexistante n’a que peu d’intérêt et offre surtout des prétextes à des déchaînements verbaux ou physiques. Les frères, qui sont encore quatre, démolissent consciencieusement toute velléité de sérieux : Groucho, dans d’improbables discours, peut vanter la liberté de ne pas être payé devant ses employés euphoriques, ou faire de la pauvre Margaret Dumont un souffre-douleur jouissif. Harpo, en burlesque authentique, détourne de leurs fonctions les objets les plus quotidiens, qu’il mange le téléphone ou improvise une musique avec une caisse enregistreuse ; et, comme il joue de la harpe, et Chico du piano à sa façon inimitable, ces pauses narratives sont autant de délices saugrenus qui justifient à eux-seuls le film. On tiendra pour secondaire Zeppo, le frère palot.

Mais les Marx ne se contentent pas de faire leur numéro personnel : ils savent interagir avec génie, voir la séquence des portes claquantes, qui semblent épuiser les possibilités d’un dispositif ; d’une manière générale, d’ailleurs, leur comique est un comique d’épuisement, qui consiste à utiliser jusqu’au bout une situation ; ainsi de la discussion sur la carte, qui réunit Chico et Groucho, et dure plus que de raison à partir de presque rien ; de même la vente aux enchères, les discours des fiançailles, sont-ils des variations verbales gratuites qui déconstruisent l’intrigue, la minent avec brio. C’est d’autant plus réjouissant que les frères n’hésitent pas à s’attaquer à l’autorité ou aux fondements du capitalisme et leur verve, sans égale, fait passer les quelques longueurs et les minauderies insupportables. Certes, ils feront mieux plus tard, mais ce premier essai, destructeur et féroce, dépasse le simple brouillon pour proposer un comique neuf et qui ne ressemble à aucun autre.