Miss Sloane - la critique du film

Critique : Dans la production mainstream d’EuropaCorp, le studio de Luc Besson et Pierre-Ange Le Pogam, les héroïnes sont plutôt des flingueuses (à la Lucy) que des lobbyistes prolixes. Or, ici, la parole sera l’outil principal de Miss Sloane, femme hiératique, et control freak achevée, dont le teint pâle semble un masque social. Dès la séquence initiale, elle édicte, face caméra, les règles d’une survie en milieu hostile : "Il faut surprendre et être imprévisible et n’être jamais surpris à son tour". La suite n’est qu’une illustration de ces préceptes : ainsi, Madeline tient tête à Bob Sanford, déployant sa verve ironique, pour s’opposer à ce représentant des armes à feu, qui veut lutter contre la loi Heaton-Harris, adverse à ses idées. Femme forte entourée d’hommes blancs, le personnage a tout de même besoin de médicaments qu’elle avale en cachette. En public, elle assène qu’"un lobbyiste par conviction n’a que besoin de gagner", ce qui discrédite quelque peu les raisons pour lesquelles elle s’engage en faveur d’un cabinet concurrent du sien. Le désir de l’emporter ayant nettement la préséance sur les causes que l’on défend, la victoire conclusive de la loi anti-armes, après bien des vicissitudes, se teinte d’une morale amère.
Si certaines scènes gagneraient à être nettement moins bavardes - notamment les séquences au tribunal, un des péchés mignons du thriller américain -, si la conviction marmoréenne du personnage-type hisse Madeline au rang d’un archétype quelque peu convenu - une sorte de pendant féminin au personnage de Jordan Belfort chez Scorsese -, les rebondissements de ce thriller politique maintiennent l’intention, en misant sur des ingrédients habituels, mais toujours efficaces : investigations et trahisons.
Jessica Chastain confère une certaine densité au rôle-titre, tout en maintenant une forme de neutralité impénétrable, qui fait doublon avec les convictions du personnage, dénué de tout sentimentalisme : avec la recherche constante de rentabilité, les calculs stratégiques deviennent une manière d’être, applicable à la sphère privée. Ainsi, cet homme que Madeline se paie à l’hôtel n’est-il réduit qu’à sa valeur rentable. Bref, cette incarnation vivante du néo-libéralisme, biberonnée aux vertus des lois du marché, agissant selon les principes d’une logique concurrentielle, rend interchangeables les objectifs qu’on lui assigne. Et finalement, les intentions humanistes du film en sont nettement impactées.