Manuel Poirier

En quinze ans et huit films, Poirier a bâti une œuvre bien ronde et parfaitement exigeante.

Poirier. Arbre au fruit juteux et au bois noble, dont on dit en ébénisterie qu’il "prend" admirablement. Comment résister à la métaphore ? En douze ans et sept films Manuel Poirier a imposé son petit monde à lui, âpre et généreux, drôle et tragique, ses personnages si proches et pourtant conservant leur mystère. Mine de rien, voilà un réalisateur qui bâtit une œuvre bien ronde et parfaitement exigeante.
Couples, familles, potes, rencontres de hasard, avec lui on est en terrain de connaissance : c’est toujours d’amour et uniquement d’amour qu’il s’agit, de la vie comme elle va et comme elle vient avec ses hauts et surtout ses bas. Minuscules tragédies sussurées sur un air de ne pas y toucher, émotion rentrée, pudeur énorme. Et des films de plus en plus épurés, comme pour aller à l’essentiel, cette chienne de vie qui vaut pourtant tellement la peine d’être vécue.
Le secret de Manuel Poirier ? C’est le regard qu’il porte sur les autres, toujours compatissant, jamais ne jugeant. A quelle aune le ferait-il, cet homme discret qui ne cache pourtant pas que ses films renvoient à sa propre vie ? Une œuvre donc, commencée sur le tard, après des années de petits boulots, pour calmer ses propres tempêtes intérieures. Et un alter ego, Sergi Lopez, son complice et son ami depuis le tournage de La petite amie d’Antonio, présent dans tous ses films, avec lequel il peut "communiquer au-delà du professionnel". Mais si Sergi Lopez est le pilier, tous ceux qui ont tourné avec Poirier, jusqu’aux plus petits rôles, sont extraordinairement justes et touchants, dégagent une aura puissante. L’homme est un fabuleux directeur d’acteurs.
S’il fallait le définir en un mot, ce serait celui d’"artisan". Amoureux de la belle ouvrage, Poirier se donne les moyens de réaliser selon ses critères personnels. De l’argent, il en faut bien sûr mais ce n’est pas l’essentiel. Il faut du temps. Pour le montage par exemple, le moment de vérité : décantation, filtrage, clarification. Et pour le tournage qu’au contraire de toutes les habitudes du métier, il exécute dans l’ordre chronologique. C’est son seul luxe et qui rend ses films si authentiques. Pas de problèmes de raccords. Les fleurs poussent puis se fanent, le temps se met au beau puis va vers les rousseurs de l’automne, en même temps les personnages évoluent, "les comédiens sont nourris de ce qu’ils ont joué avant. Ils peuvent apporter encore plus, ils sont portés".
Après la sortie de Chemins de traverse, son film "le plus intense et le plus personnel", Manuel Poirier confessait se retrouver à un moment "extrême". Soit il arrêtait de tourner, soit il refaisait un film "mais très vite". Ce "très vite" a pris quatre ans et s’intitule La maison. Que les amoureux du cinéma de Poirier se réjouissent, c’est son film le plus abouti...

Filmographie

– La petite amie d’Antonio (1992)
– À la campagne (1994)
– Western (1997)
– Marion (1997)
– Te quiero (2001)
– Les femmes... ou les enfants d’abord (2002)
– Chemins de traverse (2003)
– La maison (2007)