Le 24 novembre 2020
- Scénariste : Antoine Boute>
- Dessinateurs : Stéphane de Groef , Adrien Herda
- Genre : Humour
- Editeur : Frémok, Tusitala
- Date de sortie : 20 août 2020
Des fiches techniques drôles, trash et belles à la fois qui, subrepticement, dessinent les contours d’une utopie entraînante.
Résumé : Si vous êtes fatigués de ce monde aseptisé où développement personnel rime avec réussite sociale et enrichissement financier, et que vous ignorez les moyens dont vous disposez pour changer le monde et retrouver une communion plus saine avec la nature, ce Manuel de civilité biohardcore est fait pour vous. En un peu plus d’une quarantaine de planches didactiques, Antoine Boute, Stéphane de Groef et Adrien Herda proposent autant de solutions, certes quelque peu radicales mais pour le moins innovantes, pour déstabiliser en profondeur les logiques du grand capital et que naisse des cendres fumantes de cette société consumériste une ère nouvelle, spirituelle et pastorale.
À en croire la dernière livraison de Mon Lapin Quotidien, ce manuel visant à « renouer avec le noyau (core) dur (hard) de la vie (bio) » est un projet de longue haleine mené avec conviction par le poète Antoine Bonte, typographié par le graphiste et dessinateur Stéphane de Groef, et dessiné par ce dernier en collaboration avec Adrien Herda. Les planches reprennent les compositions didactiques de fiches techniques propres à certains modes d’emploi ou fascicules d’avertissements (en cas du crash d’un avion par exemple ou d’une attaque terroriste) et sont découpées en étapes clefs (généralement entre cinq et six) qui composent autant de cases qui permettent d’exposer clairement les actions préconisées. Antoine Boute emploie une neutralité de ton caractéristique de ce genre de document pour mieux la détourner, subvertir ce format aseptisé. Les activités qu’il recommandent se révèlent toutes plus absurdes les unes que les autres, transgressives, varient entre l’ironie, la franche dérision pour glisser aussi soudainement qu’imperceptiblement dans la vulgarité et la pornographie. L’indifférence des récitatifs, rédigés avec une écriture détachée (ou anesthésiée), simule une énonciation pleine d’objectivité qui détonne à l’aune des extravagances décrites avec précision et indifférence : cette distance entre le style d’écriture et le récit proprement dit crée un second degré particulièrement savoureux où la déraison, l’irrationnel et parfois la franche couillonnade sont racontées avec le plus grand sérieux.
Antoine Boute, Stéphane de Groef et Adrien Herda - Frémok
Ce décalage est renforcé encore par l’élégance des images et de la typographie, qui dessinent une enveloppe distinguée entrant en dissonance avec l’obscénité et l’idiotie de certains récits. La typographie, régulière, tracée à la main en capitale d’imprimerie, constitue un élément visuel à part entière mis en évidence par les encarts blancs (du moins très clair) dans lesquels elle s’inscrit : la minutie des textes adhère parfaitement ainsi et complète l’impartialité de l’énonciation qu’ils délivrent. Espaces clairement lisibles, ils détonnent au sein de planches graphiquement denses et chamarrées. Chaque case, réalisée aux crayons de couleur, se perçoit comme un petit tableau et les planches sont un ravissement pour les yeux. Les auteurs plongent dans l’attrait de la matière, trouvent des assonances visuelles subtiles mais liant les cases entre elles dans un même mouvement pictural. Cette performance graphique pourra apparaitre quelque peu troublante car, en plus de cette dynamique plastique, les auteurs proposent des jeux sur l’image qui la rendent non plus seulement belle et saisissante mais aussi drôle et intelligente. Ils manipulent différents symboles et styles graphiques qui accroissent encore l’ironie de ces fiches techniques et, ainsi, la charge politique apparait aussi à travers l’iconicité des images. Alors que la matière s’adresse davantage à la sensation, la représentation et son déchiffrement interpellent davantage l’intellect. Cette double stimulation, sensible et intellectuelle, peut constituer une difficulté pour le lecteur, car elle exige une lecture attentive, impliquée, mais, une fois l’écueil dépassé (au bout de quelques pages seulement), cette apparente complexité confère toute sa richesse à ces planches et compose une poétique originale particulièrement savoureuse.
Bien qu’autonomes, les planches se suivent et se répondent, racontent une histoire autant qu’elles établissent un plan de route pour un soulèvement à venir. Ce manuel invite à entrer dans une autre forme de civilité, parfaitement incivile en regard de notre société mais en accord avec l’utopie qu’elle porte et désire mettre en place. La révolution que les auteurs proposent se révèle ainsi poétique et transgressive, illusoire mais cathartique à lire. Au « pas de côté » que préconisait Gébé dans son manifeste révolutionnaire L’an 01 dessiné dans les années 70, les auteurs opposent des actes plus violents, plus ancrés dans des réalités contemporaines, à l’image de la pernicieuse nocivité du capitalisme et de la société technocratique. À l’idéal de Gébé caractéristique des années hippies se confronte le nihilisme des auteurs révélatrices de notre société postmoderne.
Antoine Boute, Stéphane de Groef et Adrien Herda - Frémok
Manuel de civilité biohardcore est aussi beau que transgressif, plein d’humour et d’esprit, empli d’une dérision qui incite à la réflexion. À la suite du Grraaou d’Étienne Beck et Jonvon Nias (Frémok, 2019), cette coédition salutaire entre le Frémok et Tusitala invite à repenser joyeusement notre société et ses dérives, tout en proposant des compositions plastiquement très riches, qui flattent autant les yeux que l’entendement.
64 pages - 24 €
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