L’intégrale 1998-2012 de Bertrand Mandico
Le 10 décembre 2016
Encore trop peu connu en France, le cinéma de Bertrand Mandico a parcouru les festivals du monde entier et demeure un des plus singuliers du moment. Grâce à cette très belle édition, nous pouvons enfin découvrir les nombreux courts métrages qui ont anticipé ses œuvres-maîtresses, Boro in the Box et Notre Dame des Hormones.
- Réalisateur : Bertrand Mandico
- Acteurs : Elina Löwensohn, Augustin Legrand, Philippe Katerine, Katerina Golubeva, Thierry Benoiton
- Genre : Fantastique
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : Malavida
- Date de sortie : 13 décembre 2016
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- Sortie DVD : 13 décembre 2016
Résumé : Une édition double DVD qui rassemble plus d’une quinzaine de films réalisés par Bertrand Mandico entre 1998 et 2012.
Notre avis : De Bertrand Mandico, on sait au final assez peu de choses. Né à Toulouse, il est diplômé de l’École du cinéma d’animation des Gobelins. Il a commencé à produire ses premiers films à la fin des années 1990, et comme le très beau Le cavalier bleu (1998) en témoigne, l’influence des frères Quay et de Jan Svankmajer était alors très présente. On y retrouve d’ailleurs déjà ses obsessions pour les créatures hybrides, les natures mortes et un surréalisme inquiétant, appuyé par des bandes sonores immersives. Le cinéma de Mandico cite d’ailleurs toujours ouvertement ses influences et celles ci dénotent d’emblée un goût exquis : hommages à Walerian Borowczyk (Boro in the box), Kenneth Anger (S... Sa... Salam... Salammbô), Peter Greenaway (Living Still Life), Andrei Tarkovsky (Il dit qu’il est mort)... Pourtant, au final, son cinéma ne ressemble à aucun autre. Dans les très beaux textes écrits pour le livret par Pacôme Thiellement, Yann Gonzalez, Elina Löwensohn et Hal Hartley, il est question d’un cinéma fantastique, à la fois beau et abject, drôle et effrayant. Thiellement souligne cette peinture d’univers poétiques parallèles à l’antithèse de la production hollywoodienne. Hartley, lui, y voit la résurgence d’un romantisme noir à la française, celui de Lautréamont, Baudelaire et Rimbaud et les suites qui lui donneront les Surréalistes.
Ces caractéristiques se retrouvent dans la plupart des courts métrages qui constituent ce double DVD en édition limitée. Car il faut bien avouer que jusqu’à présent nous ne pouvions avoir qu’une connaissance fragmentaire de son œuvre. Deux programmes étaient sortis en salles : Boro in the Box (accompagné de Living Still Life et parfois de S... Sa... Salam... Salammbô) et plus récemment Hormona (Notre Dame des Hormones, Prehistoric Cabaret, Y a-t-il une vierge encore vivante ?). Mais pour le reste, seuls les habitués de festivals ont pu goûter à des courts aussi délicieux que Lif og daudi Henry Darger ou Osmose.
Ce qui saute d’abord aux yeux, c’est l’amour du cinéma qui s’en dégage. Amour de la pellicule et du grain, dans un premier temps. Oui, Bertrand Mandico travaille à l’ancienne. Ses trucages sont eux mêmes visibles, renvoyant aux premières expérimentations dans le domaine du merveilleux. Car il y a beaucoup de fantaisie et de merveilleux ici. On y voit des ailes sortir de l’entrejambe d’une prostituée à la peau bleutée (Lif og daudi Henry Darger), une poupée aux mains-fourchettes (Le cavalier bleu) ou encore une corde qui n’arrête pas de s’élever alors que le corps souffrant du pendu agonisant revêt un caractère de plus en plus fascinant et érotique, juste bon à dévorer du regard (Il dit qu’il est mort).
Cette obsession de la mort et du désir, du voyeurisme et du charnel fait d’ailleurs le lien avec le romantisme noir mentionné plus haut. Mandico travaille la pellicule comme un corps et les corps deviennent parfois chez lui le film lui même. Plus encore, Mandico lorgne du côté de la tradition grotesque avec son goût pour l’hybridité, la mutation, le monstrueux, le renversement des normes, la nature dégénérée et les parallèles avec le monde animal. Sa caméra aime à explorer les fluides, les sécrétions, les matières un peu dégoûtantes et visqueuses. Il se plaît aussi à intégrer de l’humour et de l’absurde dans des situations qui pourraient être tragiques, voire horrifiques (voir les deux épisodes de la série télé Chris Dangoisse). Dans ce monde, le ludique joue une part importante et les métaphores poétiques naissent. Ainsi, le personnage principal de Boro in the box possède une boîte à la place d’une tête, qui fait de sa caboche une caméra, de son regard un écran. Là encore, on voit que pour Mandico, tout n’est qu’hommage à ce rituel magique qu’est le cinéma, et son Boro, biographie fantasmée de Borowczyk en forme d’abécédaire, est sans nul doute l’apogée de cette première période de son travail.
Toujours dans cette idée de métamorphose, Mandico a trouvé son double dans la personne d’Elina Löwensohn avec qui il travaille depuis 2011, habitée et possédée dans chacun de ses films. En mutation permanente, elle peut incarner plusieurs personnages dans le même film. De sa diction fascinante, elle narre des récits étranges, avec cet intérêt de Mandico présent presque depuis ses débuts pour la sonorité des mots, des langues. Islandais, anglais, français, polonais, les voix se mêlent pour devenir mélopées et sont aussi fondamentales à ses films que le travail sur le son, qu’il assure d’ailleurs parfois lui même. Car même si ses courts ont pu être faits avec des budgets très réduits, il se dégage quelque chose d’assez total de ces expériences cinématographiques : sons, images, matières, végétation, se mêlent dans un tout plastique, parfois totalement halluciné, mais toujours inspirant. Car - et c’est peut-être là son plus grand mérite - Bertrand Mandico est un artiste qui peut donner envie aux autres de trouver leur propre langage dans le cinéma. Il prouve que de bonnes idées peuvent faire un film, sans s’embarrasser des contraintes des narrations linéaires ou des codes du cinéma populaire ou expérimental.
Le cinéma de Mandico est une douce hypnose. On ne comprend souvent pas tout mais il nous laisse, dans ses meilleurs moments, des images dans la tête qui sont au final assez proches de ce que produisaient sur nous les contes fantastiques de notre enfance.
Pour les chroniques des programmes Boro in the box et Hormona, c’est par ici : BORO IN THE BOX
HORMONA
Le DVD
Les suppléments
Ce double DVD présente de nombreuses surprises. En effet, si le premier disque se contente de reprendre les trois films du triptyque Boro in the box + Living Still Life + S... Sa... Salam... Salammbô... faits dans la période 2010-2012, le second DVD, quant à lui, couvre toute la période 1998-2009 : pas moins de treize films + de nombreux travaux de commandes, dont certains spots publicitaires assez jubilatoires. Faites bien circuler votre télécommande, car dans les fonds noirs se trouvent de nombreux mystères ! Le coffret est, lui même, superbe, accompagné d’un livret 16 pages magnifié par des plumes inspirées.
Image & Son
Mandico in the box étant un vrai voyage dans l’univers du cinéaste, les formats sont variés. On passe régulièrement de la couleur au noir et blanc. On ressent les différences de caméras, de supports, et c’est un vrai plaisir. La technique et les contraintes font elles mêmes partie du cinéma de Mandico. Les voix et bandes sons sont toutes travaillées en post-production, ce qui leur donne un aspect vraiment complémentaire et hypnotique. Parfois, des fréquences radio vibratoires font resurgir les sons du passé (Film n°135), un vinyle craque et un piano résonne (Mie, l’enfant descend du songe), les boucles enivrent (Sa majesté petite barbe) ou alors ce sont les incantations poignantes de Ghédalia Tazartès (Boro in the box, Odile dans la vallée) qui nous amènent toujours plus loin dans l’étrange.
Galerie Photos
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