Juliette, ou les Prospérités du vice
Le 29 septembre 2016
Park Chan-wook revient au thriller mélodramatique avec son emphase habituelle. Mais sa formule, certes dotée d’une réalisation virtuose, n’a pas changé : c’est bien là tout le problème.
- Réalisateur : Park Chan-wook
- Acteurs : Moon So-ri, Ha Jeong-woo, Lee Sun-kyun, Jo Jin-woong, Kim Tae-ri, Kim Min-hee
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Sud-coréen
- Distributeur : The Jokers
- Durée : 2h24mn
- Titre original : The Handmaiden
- Date de sortie : 1er novembre 2016
- Festival : Festival de Cannes 2016
Résumé : Entre la Corée et le Japon des années 1930, durant la colonisation japonaise. L’histoire mêle les trajectoires d’une jeune femme fortunée vivant recluse dans un gigantesque manoir, et d’un escroc sadique surnommé le « Comte ». Très intéressé par l’argent de la nantie, ce dernier va faire appel à une fille pickpocket, qu’il placera comme servante chez la riche héritière.
Critique : Park Chan-wook déploie en virtuose la structure réversible dont il a le secret depuis sa trilogie de la vengeance (Sympathy for Mr. Vengeance, Lady Vengeance, Old Boy). Le principe reste identique : dévoiler une première intrigue a priori bien ficelée avec un narrateur donné, avant d’en déboulonner les tenants via un personnage secondaire ramené au premier plan. En trois parties, le Coréen fait étal de son maniérisme et de ses réflexes opératiques. La direction de la photographie est très léchée et les mouvements d’appareil pour le moins prolifiques voire emphatiques - le cinéaste ne change pas ses habitudes d’un iota. Toute la mise en scène prend un malin plaisir à magnifier les espaces et les corps, alors que ce monde et ses acteurs cachent sous des dehors attirants une âme diabolique et fielleuse. L’on joue à ce titre avec les flous et les couleurs dans Mademoiselle, jusqu’à toucher du doigt une sorte d’esthétique publicitaire malgré quelques belles estampes - comme si le chic et l’agilité en matière de cinéma débouchaient chaque fois sur un naufrage, façon Paolo Sorrentino. Dans ce dispositif, mort et sexe se conjuguent pour ne faire qu’un, et c’est là tout le propos de Park, qui rend un bel hommage à l’âge d’or du cinéma érotique japonais (l’on pense surtout aux Ping Eiga de Naboru Tanaka, Shunya Ito ou encore Koji Wakamatsu).
- Copyright The Jokers / Bac Films
La vérité n’est jamais là où elle se prétend, dit Park. Dans ce contexte d’annexion de la Corée au Japon, les apparences sont trompeuses. Les aristocrates japonais sont en réalité des Coréens naturalisés à grand renfort de stratégies abusives. Prétendument cultivés et lettrés, ceux-ci ne s’intéressent qu’à la luxure et aux écrits du Marquis de Sade et autres consorts japonais. Et les Coréens n’ayant eu la chance d’en faire autant volent et ourdissent des complots pour obtenir fortune et prestige. Le sous-texte politique est assez clair : Park Chan Wook prône à demi-mot une réconciliation de la Corée et du Japon (allégorie possible de la scène saphique finale), elles qui partagent beaucoup malgré leurs différends d’antan. Dans cette trame toute sadique et cynique, seules Sookee et Hideko trouveront une rédemption. Son nom : la passion. Car la passion amoureuse ou simplement la luxure, jalonnent tout le système de Park Chan Wook dans Mademoiselle. Peut-être au fond est-ce là l’unique centre d’intérêt du réalisateur - souvenons-nous de Thirst, dont toute l’irrévérence et la folie n’étaient qu’ardeur. Les scènes entre Hideko et Sookee, notamment les prémisses de leur idylle, sont splendides et émouvantes. Jusqu’à cette belle scène saphique qui sonne comme un clin d’œil à La vie d’Adèle, qui avec les mêmes ressorts avait défrayé la chronique cannoise en 2013.
- Copyright The Jokers / Bac Films
Il ne faudrait cependant pas prendre Mademoiselle pour un grand film, malgré ses quelques qualités (décors, interprétation, influences...). Non, Park Chan-wook joue pour cela bien trop la même partition que ses précédents métrages, de telle sorte que plus aucun sentiment de surprise n’affleure dès le milieu de la deuxième partie. Tous les secrets, jusqu’au mystérieux sous-sol, apparaissent évidents. Ne restent que des beaux plans et des beaux costumes, et ce final mélodramatique assez touchant. Trop peu toutefois pour faire de Mademoiselle un film de compétition digne de ce nom. C’est dommage, car l’on guettait l’œuvre avec une certaine fébrilité, désireux même que le Coréen nous assène de nouvelles fulgurances, nous fasse pourquoi pas souffrir avec une nouvelle scène de torture inouïe. Si tous les ingrédients d’un film de Park Chan-wook (fétichisme, violence, sexe, amour) sont bien présents, la condescendance avec laquelle ces derniers sont juste éparpillés à travers les séquences déçoit. Restent les performances des deux actrices Kim Min-hee et Kim Tae-ri, assez exceptionnelles.
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ThGi 4 novembre 2016
Mademoiselle - la critique du film
La répétition est inhérente au processus de création.
Et ce n’est pas parce qu’un réalisateur se répète qu’il n’en fait pas moins un très bon film. C’est justement parce qu’il arrive à créer un univers et un regard sur le monde particulier que j’aime l’oeuvre Park Chan-wook.
Et "Mademoiselle" est bien un grand film avec des images qui me resteront toujours en tête. N’est-ce pas cela que l’on demande avant tout à un grand film ?
Jadesuzhou 14 novembre 2016
Mademoiselle - la critique du film
Trop peu ?? Je ne comprends pas votre manque d’enthousiasme. Je trouve que c’est un beau film, un grand film. De l’érotisme réussi à l’écran c’est rare. L’arnaque est prévisible, reste donc la manière de la raconter... avec classe pour moi. Et au final je pense que ce film raconte en effet plus une histoire d’amour entre deux femmes.