Le 1er novembre 2020
Le célébrissime roman de Gustave Flaubert ne se prend jamais pour un chef-d’œuvre. C’est son plus grand mérite.
- Auteur : Gustave Flaubert
- Editeur : Michel Lévy Frères
- Genre : Roman & fiction, Classique de la littérature
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Date de parution : 1857
Résumé : Emma Rouault, fille d’un riche fermier, a été élevée dans un couvent. Elle rêve d’une vie mondaine comme les princesses des romans à l’eau de rose dans lesquels elle se réfugie pour rompre l’ennui. Elle devient l’épouse de Charles Bovary, qui, malgré de laborieuses études de médecine, n’est qu’un simple officier de santé. Emma est déçue de cette vie monotone.
Notre avis : Que n’a-t-on dit sur ce récit incontournable, fondateur de la modernité romanesque, fruit d’un travail exigeant, dont la simple évocation a encore valeur d’exemple, au point qu’il intimida même les grands cinéastes qui entreprirent de l’adapter ? Au-delà de son histoire, Madame Bovary fonde la mythologie de l’écrivain, artisan acharné du verbe, entièrement dévoué à sa création, jusqu’à l’épuisement.
A partir de 1857, le roman ne sera définitivement plus ce divertissement que des siècles désespérément hiérarchiques avaient dénigré au profit du théâtre et de la poésie, bien que la littérature française eût depuis longtemps engendré des chefs-d’œuvre narratifs, de La Princesse de Clèves aux Liaisons dangereuses. Certes, Balzac avait déjà laissé sa peau sur l’autel d’un cycle romanesque aussi énorme que son ambition littéraire. Mais avec Flaubert, la légende de l’écrivain assis à sa table, besognant une ligne à la sueur de son insatisfaction, déclamant son texte dans son gueuloir de Croisset, se concrétise par la projection formellement impeccable de son fantasme, au service d’une histoire qui ne peut être dissociée du scandale qu’elle engendra : c’est d’abord un procès intenté à l’auteur pour immoralité et obscénité, puis son acquittement retentissant, résultat qui discrédite pour la postérité le Second Empire autoritaire, dont la réaction virulente à ce miroir en forme de mots, témoignait ô combien de la pertinence flaubertienne.
On a beaucoup glosé sur le personnage d’Homais, pharmacien voltairien, si fier de son libéralisme éclairé, décoré par la Croix d’honneur pour sa médiocrité consternante. Mais l’ironie de Flaubert se niche évidemment dans les détails et on n’a pas fini d’en repérer les manifestations, bien au-delà de la fameux ambiguïté entre la voix du personnage et la celle du narrateur, qu’induit l’usage du discours indirect libre. Parfois, la rupture est consommée, l’auteur affleure derrière le récit pour dire sa colère, comme si l’indignité de certaines scènes que des sociologues bourdieusiens qualifieraient aujourd’hui de violences symboliques, motivait quelques entorses au fameux fantasme de la neutralité. Lorsque la pauvre Catherine Leroux, prolétaire au service de ses maîtres, va humblement chercher sa récompense au cours d’une cérémonie ignoble de mépris, le verbe de Flaubert s’habille soudain d’accents hugoliens pour prendre la défense d’une opprimée, en parlant "d’un demi-siècle de servitude".
Mais le plus étonnant est peut-être l’autopsie de Charles, foudroyé à proximité de la petite Louise. En une phrase, une des plus fulgurantes qu’on ait lues, Flaubert ouvre un champ des possibles, où la sidération côtoie la sortie de route. D’abord, on ne comprend pas. Le médecin légiste s’affaire et le texte, concis, raconte : "Il ouvrit et ne trouva rien". Aucune cause à la mort, si ce n’est le chagrin, mais il est impossible qu’on meure d’un chagrin seul, sans effets physiologiques. Et puis, soudain, la révélation : Charles était creux ! Il n’y avait que du vide à l’intérieur. A l’aune de cette stupéfiante découverte, comment ne pas croire que le reste est une immense farce ? Emma et ses rêves colorés de lectures romantiques, Rodolphe et ses rodomontades, l’opération ratée du pied bot, l’orgueil déçu d’une héroïne, le bal du marquis de la Vaubyessard, tout cela disparaît par le fait même d’une illusion dévoilée : ce n’était donc qu’un roman, avec des êtres fictifs. La cruelle ironie de Flaubert finit même par se retourner contre sa propre création.
Madame Bovary - Gustave Flaubert
459 pages
Edition Michel Lévy Frères
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