Le 29 septembre 2021
Chabrol s’attaque à un chef-d’œuvre qui semble l’écraser. Flaubert lui tendait la main, comme à un ami. Mais le réalisateur fait allégeance à un maître.
- Réalisateur : Claude Chabrol
- Acteurs : Isabelle Huppert, Jean Yanne, Lucas Belvaux, Jean-François Balmer, Christophe Malavoy, Thomas Chabrol, Louis-Do de Lencquesaing, Jean-Claude Bouillaud, Dominique Zardi, Henri Attal, Jacques Dynam, François Maistre, Christiane Minazzoli, Marie Mergey
- Genre : Drame, Romance
- Nationalité : Français
- Distributeur : Carlotta Films, MK2 Distribution
- Durée : 2h20mn
- Date télé : 29 septembre 2021 20:55
- Chaîne : Arte
- Reprise: 29 septembre 2021
- Date de sortie : 3 avril 1991
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Résumé : Emma, fille de paysan, épouse un officier de santé. Idéaliste et romanesque, elle perd rapidement ses illusions de bonheur face à la grossiereté des petits bourgeois normands. Elle devient la maîtresse d’un gentilhomme du voisinage qui l’abandonne, puis d’un clerc de notaire.
Critique : Flaubert et Chabrol étaient finalement faits pour se rencontrer. A deux époques différentes, leurs productions communient dans un même rejet sarcastique de la médiocrité bourgeoise et dans une semblable manière de débusquer, à travers la peinture de certaines mœurs provinciales, les habitus d’une classe qui se ment à elle-même. Mais les noces tournent court, parce que le réalisateur, cette fois dans ses petits souliers, semble complètement écrasé par l’angoisse d’adapter un chef-d’œuvre.
Du coup, comme un bon élève attaché à produire une copie idoine, il ne prend aucun risque, se contente d’une transposition complètement illustrative, où les comédiens essaient maladroitement d’habiter les personnages. A l’étroit dans leurs costumes, ils récitent d’une manière très scolaire des dialogues empesés.
Héritant du rôle-titre, Isabelle Huppert fait ce qu’elle peut, mais le naturel ordinaire de son jeu se trouve circonscrit par des étapes obligées, qui sont autant d’extraits à feuilleter sur écran : l’étourdissement festif au château de la Vaubyessard, la rencontre du plastronneur Rodolphe (qu’interprète platement Christophe Malavoy) ou celle du timide Léon (qui sied mieux à Lucas Belvaux), la scène des comices agricoles, l’agonie au goût d’arsenic, la mort. Les seconds rôles n’ont pas plus de consistance, en particulier Jean Yanne qui recycle son prototype de bourru vaguement désabusé, trahissant l’autosatisfaction éhontée du stupide Homais. Seul Jean-François Balmer parvient à trouver une sorte de degré zéro de l’interprétation, pour camper le pauvre Charles et sa conversation "plate comme un trottoir de rue".
Cette adaptation, aussi décevante que celle de Jean Renoir, plus mauvaise que celle de Minnelli, montre bien qu’il existe une "malédiction Flaubert", romancier sur lequel achoppent tant de translations cinématographiques : on en déduit tout simplement que le travail de l’écrivain, sa manière souvent concise de traduire un sentiment, d’écorcher un personnage, d’évoquer une situation, la confusion des voix que recherche l’usage répété du fameux discours indirect libre, en somme cette extraordinaire efficacité qui modèle si agréablement la matière même d’un genre, ne peuvent avoir d’équivalent cinématographique, non pas parce que le talent d’un auteur de livres serait supérieur à celui d’un(e) cinéaste, mais parce que le style de Madame Bovary témoigne d’une spécificité intrinsèque de l’écriture littéraire, lorsque celle-ci s’incarne dans la densité d’une forme.
A moins de prendre d’énormes libertés et de tordre le cou à ce Gustave envahissant, écrasant comme peut l’être un monument, on se condamne à l’échec. A la fin du roman, décrivant l’autopsie de Charles pratiquée par le docteur, le narrateur résume : "Il l’ouvrit et ne trouva rien". Bon courage à celui ou celle qui cherchera l’équivalent visuel d’une phrase aussi vertigineuse. Au cas où une âme cinéphile y arriverait, peut-être pourra-t-elle imaginer ce qui précède sur l’écran noir de ses nuits blanches...
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