Le 21 juin 2014
- Famille : Comics
- Date de sortie : 1er juin 2014
Tout démarre quand la société LUG, établie à Lyon - d’où son nom, condensé de Lugdunum, appellation latine de la belle ville de Lyon – décide, après quelques essais de magazine petit format jeunesse – rappelez-vous Kiwi, Zembla - , de se lancer dans la traduction des comics Marvel. Ainsi naissent Marvel et Fantask en 1969. Mal en a pris à LUG, puisque la commission de la censure française leur envoie une courte mais méchante lettre en 1971 leur demandant de suspendre leur publication pour cause de Couleurs violentes, d’histoire horribles, de non-repect du jeune lecteur et j’en passe !
LUG décide de lancer alors de nouveaux formats. Tout d’abord des anthologies de série de petit format, qui réunissaient quatre séries, et qui dépendait d’un régime fiscal spécial, une TVA réduite mais en échange, une publication jeunesse impliquant un pourcentage fixe d’articles culturels.
A côté de cela, LUG publie des récits complets grand format, qui eux ne dépendent pas de ce régime fiscal. Les collections vont fonctionner et se développer.
Pour atteindre le succès qui fait que dans les années quatre-vingt, il y aura plus d’une dizaine de publications différentes qui enchantent petits et grands, la société Lyonnaise applique une formule simple que l’on pourrait qualifier, disons, d’auto-censure !
Mais comment procédait-elle ?
Xavier Lancel dans l’obscurité de la censure...
Xavier Lancel, intervenant de cette passionnante conférence, a trouvé par hasard chez un libraire des vieux stockes de Comics marvel en VO annotés, biffés, numérotés étrangement et tous tamponnés d’un tampon LUG, un stock de quatre vint à cent mille exemplaires différents.
Il s’agit des exemplaires de préparation de la société, ces annotations étaient les leurs et servaient au remaniement des BD.
Et LUG n’y allait pas de main morte pour être sûre d’éviter la (vraie) censure.
Voici quelques unes des règles maison :
– pas d’allusion à la drogue (même si le message moral est positif au final, genre, la drogue c’est mal),
– pas d’enfants menacés,
– limitation de la présence des armes à feu,
– pas de lézard aux dents acérées, aux langues pointues ; d’ailleurs, pas de créatures aux langues acérées ou dents pointues,
– pas de personnages trop affreux,
– pas de gestes violents orientés vers le lecteur,
– limitation des armes blanches,
– limitation, bien sûr, des giclées de sang,
– limitation des blessures et des petits impacts,
– pas d’empalement, de strangulation, de noyade, et surtout pas de décapitation,
– limitation de la violence faite aux femmes...
Et pour mieux comprendre jusqu’où tout cela pouvait aller, voici quelques exemples d’images censurées et de méthodes employées...
Dans cet épisode, Daredevil devait arrêter une mère victime de la drogue qui s’occupait mal de son enfant. Comment faire ? Simple, ne jamais traduire cet épisode !
Dans cet épisode, des zombies attaquent une membre de la division Alpha, et une créature aux grandes dents, Goblin, est également présente. Oulah, violence faite aux femmes, créatures répugnantes et monstres à grandes dents. Pendant tout l’épisode ? Oui. Simple, on ne traduit pas l’épisode.
Dans cet épisode de Rom, le vaillant chevalier de l’espace retrouve son humanité mais il découvre après coup que son corps pourrit en voyant ses congénères subir le même sort. Mon Dieu, un corps pourrissant, comment gérer cela chez LUG ?
Simple on retouche le dessin, et la pourriture devient une petite tâche. Notez au passage la modification des cases environnantes...
Chez Daredevil, La femme du Caïd a dû vivre dans les égouts et Daredevil la retrouve. Elle est laide, violette et limite couverte de pustules. Ben oui, la vie dans les égouts,quoi.
Femme maltraitée devenant une créature horrible ? BIIIP, on retouche l’image, on efface les pustules, le violet reprend une couleur chair et … On lui tire les traits pour marquer la fatigue.
Bon sang, dans cet épisode de Puissance 4, cet enfant est menacé par un Snark, créature reptilienne aux dents acérées.
Quoi, enfant menacés, lézard à grandes dents ? BIIIIP, on efface le lézard et tout va mieux.
Quoi, cet ennemi de la division alpha se fait découper net en rondelles, survit et continue le combat, décapité ? BIIIIP, épisode intraduisible !
Vous commencez à saisir le fonctionnement ? Dur de revoir sous cet angle les comics de notre jeunesse, non ?
Pourtant, Xavier Lancel nous explique que ce n’est pas tout, il y a un autre angle d’action LUG.
Tout d’abord, il fallait remplacer ces cases censurées par d’autres cases, gérer ces épisodes manquants, mais cela se liait au problème de gestion des traductions.
En plus de la censure, LUG traduisait les textes dans des bulles plus grandes ! Publication jeunesse implique textes bien lisibles.
Les Marvel US faisaient dix-sept pages de BD et le reste de pub et sortaient une fois par mois ou une fois tous les deux mois.
Malheureusement, certains épisodes faisaient parfois vingt-trois ou vingt-quatre pages. Et LUG ne pouvait dépasser son quota de page mensuelles (rappelez-vous, le pourcentage consacré aux articles culturels étaient fixes) donc, il sabrait des pages, ou des case pour redescendre à vingt-deux pages.
Comment se faisaient ces choix cruciaux ? Par exemple, éliminer toutes les pages de flash-backs, de rappels d’épisodes précédents et autres. Enlever aussi les pages qui ne faisaient pas avancer l’action.
Tony Stark fait son jogging, croise de jolies filles qui le draguent et s’en va finalement en hélicoptère. Hop, on raccourcit la moitié des trois pages de cette anecdote pour gagner de la place. Le tour est joué !
Certains épisode comportaient des tonnes de références à d’autres numéros pour que le lecteur s’y retrouve. Sympathique mais très envahissant. De plus, si LUG n’avait pas traduit les épisodes concernés, catastrophe !
Alors on supprime les renvois, hop ! D’un côté, ça facilite la lecture des cases, mine de rien, comme le montre cette page bien chargée.
Quand les marvel US ont monté à vingt-deux pages de BD, vous imaginez le drame car LUG restait bloqué en nombre de pages et cela faisait cinq pages de plus par série.
Quelle solution ont-ils trouvé ? Et bien, ils choisissaient un épisode et le divisaient en deux, il était ainsi publié sur deux numéros. Dans Strange, ils alternaient entre les différentes séries, mais dans Titans, ils choisissaient les séries les moins aimés du public et les divisaient en deux, ce qui arriva à Machine Man ou à Dazzler.
Au bout d’un moment, les décalages entre épisodes donnant du retard à la publication, cela devenait de plus en plus dur, l’augmentation du nombre de pages restait alors la seule solution. Il fallut attendre un moment et LUG passa ses publications à cent pages au lieu de quatre-vingt.
LUG est allé loin car ils ont même truqué des fins de séries qu’ils voulaient arrêter. Prenons l’exemple de la division Alpha. LUG voulait mettre fin à la série, mais Marvel la continuait et la lançait même dans un nouveau cycle qui allait bien durer deux ans.
Les héros voyageaient de mode en monde et se retrouvaient dans un monde qu’il croyait le leur, jusqu’à ce qu’un message leur révèle qu’il n’en était rien.
Fausse joie pour la division.
Que fit la société LUG ? Elle choisit un moment intermédiaire, celui de la joie et coupa avant la révélation de la vérité, en changeant les dialogues pour que cette joie reste non ternie et donne l’impression d’une vraie fin. Et la société ajoutait un encart pub sous la BD pour combler le vide créé par les cases enlevées.
Cette ère de l’auto-censure s’est terminée avec la fermeture de LUG dans les années 90. SEMIC a repris le flambeau sans reprendre la méthode !
Xavier Lancel conclut en nous conseillant d’aller lire les Marvel en VO, nous recommandant de prendre une série qu’on connaît et d’en découvrir la vraie fin, du coup !
Moi, j’ai eu une autre envie, celle d’aller relire, avec toutes ces infos dans la tête, mes vieux Strange, Nova et consorts et de découvrir tout ce qui ne m’avait pas frappé enfant...
Alors, quelque soit votre choix, bonne lecture !
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