Le 18 mars 2025
Le réalisateur montre avec effroi la capacité des peuples à passer d’une forme de dictature à une autre, au nom d’une justice dont ils s’arrogent les principes et les contours, au mépris des fondamentaux de toute société démocratique.


- Réalisateur : Tudor Giurgi
- Acteurs : Iulian Postelnicu, Alex Calangiu, Cătălin Herlo, Ionut Caras
- Genre : Drame historique
- Nationalité : Hongrois, Roumain
- Distributeur : Destiny Films
- Durée : 1h49mn
- Date de sortie : 19 mars 2025
- Festival : Arras Film Festival 2023

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– Année de production : 2023
Résumé : Décembre 1989. La révolution roumaine a débuté et la ville de Sibiu devient le théâtre de terribles affrontements. Les policiers et miliciens fidèles à Ceausescu sont arrêtés et réunis dans le bassin vide d’une piscine. Mais comment savoir qui est qui dans un tel chaos ?
Critique : « Ils veulent la liberté mais ils ne savent pas quoi en faire » : c’est la parole cinglante d’un gradé de la police qui s’apprête avec ses hommes à faire taire le peuple roumain qui commence sa révolution contre le régime du dictateur, Nicolae Ceaușescu. Dans le chaos qui s’annonce, différentes forces s’opposent : le peuple épris de démocratie, la police et les militants fidèles au régime communiste. Et c’est ainsi, la guerre civile faisant rage, qu’un grand nombre de ces défenseurs de l’ancien ordre sont arrêtés et rassemblés dans le bassin sordide d’une piscine vide.
Libertate s’inspire de faits réels. Le réalisateur, Tudor Giurgi, qui a derrière lui près de dix longs-métrages, plutôt passés inaperçus sur les écrans français, s’attaque à une page de l’histoire de son pays, dans un bain de tirs de mitraillettes, de coups et de violences. Après des années de corruption, de persécutions contre les opposants, la Roumanie cède à une confusion où chacun se croit investi d’un pouvoir de justice qui transcende les règles et l’arbitrage collectif. Ainsi, le long-métrage raconte dans une langue rythmée la désorganisation de l’armée, la rébellion du peuple révolutionnaire, et en sous-mains des forces obscures qui tentent de faire advenir le chaos. La lutte pour la liberté se transforme alors en une vaste mascarade où plus personne ne sait qui est qui, les uns se drapant dans des costumes de l’armée, et les autres se ralliant aux révolutionnaires avec des uniformes de la vie civile.
- Copyright Libra Films
Par bien des aspects, le chaos qui règne en Roumanie fait penser à l’actualité de pays comme la Syrie qui, après s’être débarrassée du dictat de Bachar al-Assad, sombre dans une autre forme d’agonie où la revanche sociale devient aussi brutale que les années de maltraitance faites par les forces policières. Le film révèle un climat assez troublant avec ces policiers, ensanglantés et confinés dans le bassin de la piscine, qui deviennent presque des héros face à la barbarie des rebelles. L’armée qui prend le pouvoir dans la violence justifie ses positionnements arbitraires avec une propagande qui répand dans le peuple, comme le soufre, l’opprobre et le mensonge.
Libertate apparaît comme un film assez bruyant, habité par la fureur des révolutionnaires, où la confusion règne. Le réalisateur montre avec effroi la capacité des peuples à passer d’une forme de dictature à une autre, au nom d’une justice dont ils s’arrogent les principes et les contours, au mépris des fondamentaux de toute société démocratique. Il y a d’ailleurs une véritable ambiguïté chez le cinéaste dont on se demande si d’une certaine façon il ne cautionne pas les exactions de l’armée de Ceaușescu au nom des crimes arbitraires commis par ces hommes qui ont revêtu l’uniforme de l’armée. L’affiche d’une grande pertinence visuelle restitue magnifiquement l’ambivalence d’un régime autoritaire auquel succède la tyrannie d’un peuple en colère.
- Copyright Libra Films
Multi-récompensé dans de nombreux festivals, et surtout acclamé par la profession roumaine, le film témoigne avec effroi du chaos parfois nécessaire à un pays pour retrouver l’harmonie démocratique. Les interrogatoires arbitraires, les condamnations sommaires plaident en faveur d’une intervention internationale pour permettre à un peuple de se reconstruire autour de règles de droit stables et démocratiques. On pressent bien des moyens assez disparates pour une œuvre qui aurait mérité des ressources financières plus importantes. Le drame s’écoule dans des jeux de couleurs relativement sombres, comme un rappel d’un passé révolu, à la fois lointain, mais encore très proche dans l’inconscient culturel d’Européens et de Roumains. On pense alors à notre propre Révolution française, filmée dans Le déluge (2024), où sous prétexte de faire valoir les vertus de la République, les soldats qui gardaient Louis XVI et sa famille dans une geôle faisaient montre d’une effroyable cruauté.
La dernière partie qui signe la résolution de ce drame historique est d’une redoutable intelligence, provoquant dans le récit un retournement de la situation totalement inattendu. Les masques tombent dans une contre-révolution qui ne dit pas son nom, où l’humanité est appelée à faire valoir ses meilleures vertus pour faire régner à nouveau l’ordre. Ce vent d’optimisme soudain rassure sur l’avenir du monde.