Blanc immaculé
Le 2 juillet 2014
Malgré des moments de beauté fulgurante, cette adaptation du roman de Julien Green peine à se dégager de la gangue du cinéma dit de qualité mais réussit à installer une atmosphère étrange, maladive.
- Réalisateur : Léonard Keigel
- Acteurs : Georges Wilson, Madeleine Robinson, Lilli Palmer, Marie Laforêt, Louis Jourdan, Nathalie Nerval, Edouard Francomme
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : les Documents cinématographiques
- Durée : 1h27mn (DVD)
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 13 avril 1962
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– Sortie DVD le 26 juin 2014
– Tournage : 6 février au 8 avril 1961
– Classifications CNC : interdit aux -12 ans, Art et Essai (visa d’exploitation no 24574 délivré le 11 avril 1962)
Malgré des moments de beauté fulgurante, cette adaptation du roman de Julien Green peine à se dégager de la gangue du cinéma dit de qualité mais réussit à installer une atmosphère étrange, maladive.
L’argument : Les époux Paul et Marie Guéret emménagent à Lorges, un village du centre de la France, où Paul, professeur, doit donner des cours particuliers au jeune André Grosgeorges, le fils des riches châtelains du coin. Sans percevoir que, sous ses dehors froids, Mme Grosgeorges n’est pas indifférente à son charme, Paul s’intéresse très vite à la jolie Angèle que la tante de celle-ci, Mme Londe, emploie dans son restaurant pour attirer les clients. Il obtient un rendez-vous avec la jeune femme et apprend qu’elle est la maîtresse de M. Grosgeorges. Dévoré par la passion et la jalousie, Paul tente de monnayer les faveurs d’Angèle. Face à sa résistance, il l’agresse sauvagement, abuse d’elle et s’enfuit en la laissant pour morte…
Notre avis : Paru en 1929, après Mont-Cinère et Adrienne Mesurat, Léviathan rencontra un succès considérable, établissant la réputation de Julien Green, écrivain américain d’expression française qui entrera à l’Académie en 1971.
Le cadre et la thématique du roman le rapprochent à la fois de Mauriac et de Bernanos, mais aussi de la littérature fantastique : langue châtiée d’un parfait classicisme au service d’un naturalisme exacerbé dans la description d’un milieu provincial à l’étouffante médiocrité ; portraits d’âmes tourmentées accédant, à travers le crime ou la déchéance, à une rédemption pouvant prendre le visage de la folie ; présence obsédante de motifs religieux, tels le Léviathan du titre, souvent assimilé à la bête de l’Apocalypse.
Succédant à d’innombrables projets avortés, le film de Léonard Keigel peut se prévaloir de la collaboration de Julien Green qui signe lui-même des dialogues à l’efficacité théâtrale indéniable, le scénario étant lui écrit par Keigel et René Gérard, alias Eric Green, fils adoptif de l’écrivain et cheville ouvrière du projet.
- LÉVIATHAN de Léonard Keigel (1961)
Ces dialogues magnifiques constituent un des atouts majeurs d’un film que certaines scènes trop explicatives et une facture très soignée tendent à enfermer dans la gangue du Cinéma de qualité qui le fige souvent et en atténue la force profonde au profit d’une efficacité de surface.
L’interprétation, pourtant remarquable, participe de cette tendance.
Ton résigné, regard bas, dos courbé, visage noirci par le maquillage, Louis Jourdan, affublé d’un imperméable élimé, fait des efforts visibles pour casser son image de jeune premier athlétique et composer un personnage censé être désespérément terne, simple ectoplasme réduit à la fonction de catalyseur. Le naturel ressort de manière assez cocasse quand il escalade le grillage d’un poulailler, mais l’incongruité même de cette inadéquation foncière entre l’acteur et son rôle finit par lui donner quelque chose de touchant.
Madeleine Robinson fait de Mme Londe une trop parfaite caricature et Georges Wilson est seulement irréprochable.
Quant à Lilli Palmer, on peut sans doute être agacé par l’efficacité imparable de ce qui ressemble à un numéro bien rôdé mais il est difficile de nier à l’actrice une autorité et une présence flamboyante qui font de la terrifiante et pitoyable Mme Grosgeorges une figure en tous points fascinante.
- LÉVIATHAN de Léonard Keigel (1961)
La retenue de Marie Laforêt ressemble parfois à de la distraction et tranche avec le professionnalisme ambiant. Mais cette forme d’absence à soi et au rôle contribue, avec sa beauté radieuse et son timbre de voix irrésistible, à donner au personnage d’Angèle une aura d’innocence et de mystère. Son apparition, au début du film, dans la vitrine illuminée de la blanchisserie, a bien quelque chose d’une épiphanie, et le gros plan final de son visage irradiant ce qu’il faut bien appeler la grâce est également difficile à oublier.
Car si Keigel, dont c’était le premier film, n’est pas entièrement parvenu à s’affranchir des entraves imposées par un appareil de production sans doute trop lourd, il a néanmoins réussi à installer une atmosphère de beauté étrange, maladive, en s’appuyant sur la sublime photo au noir et blanc très contrasté de l’orfèvre Nicolas Hayer ( Orphée) et les accords envoûtants de La Nuit transfigurée de Schönberg.
- LÉVIATHAN de Léonard Keigel (1961)
Sa mise en scène, souvent inspirée, sait utiliser brillamment les miroirs (dans lesquels Angèle défigurée se regarde tant qu’elle finit par ne plus se voir), une serre illuminée dans la nuit ou un grand escalier venu tout droit de La splendeur des Amberson dans une vaste demeure seigneuriale (trouvée à La Ferté sur Jouarre) et donner tout leur poids d’indécidable à des gestes anodins (Guéret attiré sur le balcon par la lumière du crépuscule pendant que son épouse ferme les volets à sa demande).
- Lilli Palmer, Louis Jourdan et Marie Laforêt dans Léviathan - Keigel 1961
Ces qualités qui parsèment de beautés fulgurantes ce film bancal se déploieront par la suite dans l’admirable adaptation de La dame de pique, à laquelle collaboreront d’ailleurs à nouveau Julien et Eric Green.
Le DVD
- LÉVIATHAN de Léonard Keigel (1961)
Les Documents Cinématographiques proposent une remarquable édition DVD, riche en suppléments précieux, de ce film rare.
Les suppléments
Ils sont nombreux et tous d’un grand intérêt. C ’est assurément un des points forts de cette édition (et de toute la collection d’ailleurs) :
– Au cours d’un entretien riche en informations et en anecdotes éclairantes, intitulé De ce côté-ci du miroir, Eric Green, évoque les différents projets d’adaptation du roman dès les années 30 et parle de la relation de Julien Green au cinéma.
– Dans Autour du film, Eric Green, la monteuse Noëlle Balenci (qui tient à dire que Keigel ne lui a jamais adressé la parole) et l’assistant Jacques Sorkine apportent un éclairage très intéressant sur un tournage sous haute tension.
– Un portrait de Noëlle Balenci, Itinéraire d’une monteuse, retrace brièvement une carrière qui lui a permis de travailler avec Christian-Jaque, Clouzot, Clément, Deray ou Sautet sans jamais croiser la route de la Nouvelle Vague.
– Daté mais très amusant, un reportage de trois minutes extrait de l’émission télévisée Page cinéma du 15 mars 1961 fait parler les personnages du film par la voix des acteurs.
– Dans Apostrophes du 20 mai 1983, Julien Green évoque ses expériences de jeunesse face à Bernard Pivot.
– L’esthétique de dramatique télé est d’un autre âge mais la présence de l’émouvante Anouk Aimée fait le prix des 20 minutes d’extraits commentés de l’Adrienne Mesurat réalisé par Marcel L’Herbier, en 1953. Ces fragments subsistants permettent aussi de retrouver Orane Demazis, Louis Seigner, Béatrice Bretty ou encore, très brièvement, Alain Cuny.
– Dans Here is America, émission radiophonique de l’Office of War Information du 17 février 1943, Julien Green, commente un numéro de Life dans le cadre de l’effort de guerre.
Image
La copie, bien que restaurée, présente un certain nombre de menus défauts (point blancs, ondes horizontales qui parcourent l’écran à certains moments) mais elle est suffisamment belle et contrastée pour qu’on puisse apprécier pleinement l’extraordinaire photo de Nicolas Hayer. Le report a visiblement fait l’objet du plus grand soin.
Son
Un Dolby 2.0 mono parfaitement clair et équilibré met bien en valeur les timbres de voix, les bruits (celui, par exemple, du charbon sur lequel marche un moment Louis Jourdan) captés par Louis Hochet et la partition de Schönberg dans l’interprétation du SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg dirigé en 1958 par Jascha Horenstein.
- Léviathan de Léonard Keigel (1961)
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