Le 20 août 2017
Lewis signe un film étrange, sorte de manifeste contestataire où les gags sont autonomes et étirés au maximum.
- Réalisateur : Jerry Lewis
- Acteurs : Jerry Lewis, Robert Strauss, Sebastian Cabot, Neil Hamilton, Jay Adler, Francine York
- Genre : Comédie
- Nationalité : Américain
- Durée : 1h39mn
- Titre original : The Family Jewels
- Date de sortie : 24 novembre 1965
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– Reprise : le 23 décembre 2015
L’argument : La petite Donna Peyton, 9 ans, devient orpheline à la mort de son père. Elle hérite de la somme astronomique de 30 millions de dollars. Elle doit alors choisir lequel de ses 6 oncles deviendra son nouveau tuteur. Pour cela, accompagné de son chauffeur Willard, elle va leur rendre une petite visite...
Notre avis : Réalisateur sous-estimé dans son pays, glorifié un temps par la France et en particulier par Robert Benayoun, Jerry Lewis est admiré ou détesté sans mesure ; on s’accorde en général à voir dans Dr Jerry et Mr Love son chef-d’œuvre et à s’attrister devant sa fin de carrière. Les Tontons farceurs (The Family jewels en VO) appartient à la période faste du cinéaste et représente même un concentré de tout ce qui peut le faire aimer ou haïr avec la même vigueur ; car, et c’est le reproche principal qu’on adresse au film, on y rit peu – pas du tout, diront certains. Jamais d’éclat de rire face à des situations absurdes, des grimaces excessives ou des gags éculés. Mais on pourrait dire sans provocation que ce n’est pas ce que cherche Lewis ; là où un Senett imposait un rythme frénétique, il travaille au contraire l’étirement, l’épuisement du gag. Tout se passe comme s’il exténuait la moindre idée, lui ôtant toute chance de faire rire. En un sens, c’est un maniériste de l’humour, qui passe le plus clair de son temps à revisiter -et à détruire- des scènes classiques. Qu’il s’en prenne à des chutes (les queues de billard, les livres) ou au coucou qui ne devrait pas voler, le principe est le même : retarder, étirer ou établir une subtile variation (les livres tombent en décalé, un peu comme plongent les nageuses qui accompagnent Esther Williams). Sa principale source d’inspiration, le dessin animé à la Tex Avery, lui donne l’occasion de mettre en images « réelles » des gags impensables dans notre monde : le chauffeur qui creuse une galerie en faisant les cent pas, l’homme qui reste collé à la porte que Willard a ouverte brutalement ou le pilote poursuivi par son avion. C’est que Lewis s’est créé un univers singulier, dans lequel il est, corps exogène et grimaçant, le seul à être décalé. Tous les autres acteurs pourraient venir d’un film quelconque et jouent « classiquement » ; seul il se déhanche, hurle, s’agite perpétuellement, dans des mouvements caricaturaux et foncièrement inutiles. On peut trouver ça ridicule, ou interminable. Pour notre part, nous restons fascinés par ce jusqu’au-boutisme d’un réalisateur au style très sage et dont la folie reste soigneusement emprisonnée par le cadre, qui la contient ou la soutient (voire les deux plans, dans l’avion et dans la salle de billard, où des têtes apparaissent en dehors de toute logique).
© Swashbuckler Films
Cette galerie de personnages loufoques a pour caractéristique de présenter des oncles dont on ne cesse de dire qu’ils sont doués (c’est vrai pour le photographe, le bandit ou le détective), mais dont l’incompétence égale celle des grands ratés (le pilote). Tous inadaptés, ils provoquent des catastrophes en croyant exercer leur art. Un seul détonne, celui que la petite fille ne rencontre pas, le clown qui n’aime pas les enfants ; doublement à part, non seulement il excelle dans son métier (du moins nous le dit-on), mais il ne s’en sert que comme d’un tremplin pour s’enrichir. Là où les doux dingues ont du cœur, lui déteste le monde et, fait singulier, il est le seul à ne pas grimacer : autoportrait tragique ou personnage repoussoir, il tient lieu de point aveugle du film et fera un retour ambigu à la fin.
Tel un Jacques Tati ou un Buster Keaton, Jerry Lewis incarne un inadapté chronique. Malgré ses bonnes intentions, toujours prêt à rendre service (voir la scène du garage), il n’est jamais à sa place ; d’où cette agitation perpétuelle, ce besoin de bouger frénétique qui se manifeste en un gaspillage constant d’énergie. Rien n’est simple pour lui et le chemin détourné est forcément celui qu’il va adopter. En ce sens, Lewis est un créateur, un vrai, qui construit un monde à sa mesure pour mettre en scène cette angoisse d’être différent et improductif. Car c’est une autre caractéristique de son personnage que de n’arriver à rien : le pilote retourne à son point de départ, le détective ne retrouve pas la petite fille (pire même, il l’ignore), le photographe ne photographie pas, le truand n’obtient pas la rançon ; bref, dans une société qui fait de la production son alpha et son oméga, Lewis est un parasite dont les efforts démesurés n’aboutissent à rien. Il représente l’inverse d’un capitalisme triomphant, et il n’est pas très étonnant que les Américains n’aient jamais aimé ce clown qui leur renvoie une image rebutante d’eux-mêmes.
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