Les Passagers du Vent . T.8 . Le Temps des Cerises Livre 1 - La chronique BD

Près de quarante ans se sont écoulés depuis la sortie du premier tome d’une série qui a marqué plusieurs générations de lecteurs. Les Passagers du Vent ont un souffle qui semblait se raccrocher aux cales, aux vagues, mais un second cycle l’avait projeté dans le bayou et la sueur. Ce dernier cycle n’a plus les embruns, ni la chaleur électrique, mais le froid et la rigueur de Paris n’altère en aucun cas ce souffle, qui se fait plus dense, plus tenu, plus libre aussi. En mêlant les intérêts et les conflits politiques, religieux et sociaux aux périls et aux écarts du monde artistique, il y a une capitale marquée par la Commune et les Impressionnistes qui en ressort, entre utopistes et déportés, amateurs du Lapin Agile et des rues de Montmartre, toute une ambiance s’étire et se tend, avec une vérité terrible qui représente le point d’orgue du tome. Mais comme dans ton bon album de Bourgeon qui se respecte, c’est avant tout une atmosphère qui se dégage, avant un personnage ou un événement, c’est le lieu et le ressenti, le froid d’une nuit ou l’intimité d’une chambre qui prime avant l’intrigue ou le caractère. Une bande dessinée selon Bourgeon, c’est quasi naturaliste, une sorte de Zola qui fait voguer une famille dans un milieu et une époque, avec des héroïnes avant tout humaines.

© Delcourt

Le dessin est comme à son habitude difficile à résumer : incroyablement précis, avec la recherche du détail (il suffit de lire les annexes pour voir la maquette du quartier de la Butte de l’époque pour mieux visualiser le dédale), les gares et les quais d’un Paris se découpant de façon juste du premier à l’arrière plan. Des personnages aux sourires et aux yeux expressifs, des deux héroïnes jusqu’au passant ou au manifestant d’une planche ou d’une case, chacun a sa tête et son corps particuliers (voir également les annexes pour découvrir la technique de l’auteur !). Une intensité de chaque instant qui contraste avec le peu d’action véritable qui traverse les tomes : en effet la violence est toujours présente, mais souvent arrêtée avant le sang, racontée plus qu’exprimée, cachée au moment fatidique, comme une tragédie racinienne d’antan. Tragique pour finir conviendrait à merveille à ce dessin, de part sa puissance et son émotion permanentes.

© Delcourt

Chef-d’œuvre de la littérature BD, Les Passagers du Vent obtient du rab et un dernier cycle qui promet d’être riche et captivant, encore une fois, comme d’habitude. Pour nous, il serait même plus vibrant que celui qu’il suit, et Le Temps des Cerises ressemble à l’apogée de son auteur.