Le 4 août 2020
Un documentaire intense et adroit, qui s’érige en véritable hommage aux femmes célibataires chinoises, qui vivent une constante oppression dans leur pays.
- Réalisateurs : Shosh Shlam - Hilla Medalia
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Israélien, Britannique, Allemand
- Distributeur : MetFilm Sales
- Durée : 1h23
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Résumé : Portrait sensible de trois célibataires chinoises dans un pays qui enjoint les femmes à se marier jeunes, sous peine d’être rejetées par leur famille et stigmatisées par l’État. En Chine, les femmes célibataires de plus de 27 ans entrent dans la catégorie des sheng nu ("celles qui restent"), en référence à ces perles que l’on délaisse. Les codes sociaux stigmatisent celles qui tardent à se marier ou veulent s’affranchir des traditions. Elles subissent une pression familiale constante et sont pointées du doigt par un État culpabilisateur. Pourtant, c’est bien la politique de l’enfant unique qui est à l’origine de ce malaise. La naissance d’un garçon étant toujours préférée à celle d’une fille, on dénombre en Chine 40 millions d’hommes de plus que de femmes. Le gouvernement voit dans ce déséquilibre un danger pour la paix sociale et pousse les Chinoises à convoler le plus tôt possible.
Critique : En Chine, les femmes célibataires de plus de vingt-sept ans peuvent être victimes de stigmatisations et d’insultes. Les réalisatrices Shosh Shlam et Hilla Medali présentent l’ampleur de la pression sociale qui pèse sur les épaules de celles-ci. Pour cela, elles ont suivi trois femmes concernées pendant plusieurs mois : Xu Min, animatrice radio de 28 ans, Gai Qi professeur d’art dramatique et de cinéma à l’université, âgée de 36 ans, et Qui Humei, 34 ans, avocate. Le style du film est remarquable. Dépassant de loin le simple compte-rendu sociologique, il les présente dans toute leur singularité. Composé d’une alternance de scènes de vie quotidiennes, d’échanges avec leurs proches, et de séquences montrant les différents moyens de rencontre qu’utilisent les Chinois, il met en lumière les enjeux de la pression anti-célibat.
Une culture relationnelle de fusion entre traditions ancestrales et modernité
Pour mettre en relation les prétendants, la Chine ne se limite pas aux sites et applications de rencontres. Les agences de mariages y ont encore le vent en poupe, tout comme les speed datings. Les sélections peuvent aussi faire l’objet de mises en scène, dans des spectacles où les femmes se présentent à la manière d’un concours devant un homme qui les élimine une à une. Des parcs sont aussi dédiés à la recherche de fiancé.es, souvent menée par les parents de la personne « à marier ». Alors que la Chine compte un nombre bien plus important d’hommes que de femmes, ces pratiques présentent une toile de fond inégalitaire en la défaveur des femmes. S’appuyant sur des critères précis (niveau social, lieu d’habitation et de naissance, métier…), elles ne laissent rien au hasard. La spontanéité y a difficilement sa place.
Gai Qi, pourtant, parvient à se fiancer, se marier et avoir un enfant, avec un homme que les algorithmes ne lui auraient pas réservé : il est plus jeune qu’elle et vient de la campagne. Ils se connaissent depuis longtemps, ne savaient pas si leur relation allait être acceptée par leurs parents, mais sont parvenus à imposer leur décision sans déchirement ni drame. Cela n’est pas le cas de Xu Min, qui peine à se détacher de l’emprise qu’a l’avis de sa mère sur sa vie intime. Son célibat, non choisi, est dû à cette soumission. Qui Haumei, qui n’éprouve pas l’envie de se mettre en couple, ni celle d’avoir des enfants, se trouve violemment humiliée par sa famille et essaie de se plier à leur volonté en se forçant à faire des rencontres. La force de caractère et la lucidité de Qui sont particulièrement touchantes. Prise entre colère et culpabilité, elle souffre d’entendre ses parents lui dire à quel point « ils s’inquiètent pour elle », et est ébranlée par leur rejet de sa personnalité. Elle tente longtemps de s’oublier elle-même, pour correspondre aux attentes de ces proches.
" En Chine, c’est comme si toutes les chaussures n’existaient qu’en une seule pointure. Même si tu as le pied plus grand, il faut à tout prix qu’il rentre dans cette chaussure." Qui Haumei.
La recherche d’un partenaire, en Chine, semble souvent liée à la volonté d’accéder à un certain statut social et de se conforter à une norme, coutume largement encouragée par le gouvernement. Le documentaire souligne la difficulté de faire perdurer, pour tous, un système rétrograde au sein d’une société mondialisée, où le désir de s’émanciper et de s’épanouir prend de plus en plus de place dans les chemins de vie.
S’épanouir, par-dessus tout
Au-delà du thème central de la recherche d’un partenaire, les réalisatrices nous poussent à nous interroger sur le poids des normes culturelles dans nos vies, et leurs influences sur la vision que nous avons de nous-mêmes et de nos choix. Devant une marieuse, la femme est poussée à se justifier du fait qu’à 34 ans, elle se trouve belle, et que son âge ne lui pose pas de problème. Elle reste fière et ne s’écroule pas devant les propos méprisants et culpabilisants de la professionnelle des unions. Cela met en évidence la vision stéréotypée de la manière dont doit se tenir une femme, pour qu’on la considère « digne d’être aimée » : être jeune, correspondre à ce que prônent les codes esthétiques de la société dans laquelle elle évolue, mais aussi, très manifestement, être soumise et vouée à enfanter.
La mère de Gai Qi, pendant que sa fille se fait coiffer pour son mariage, présente le mariage comme quelque chose que l’on « doit faire ». Ses propos, n’évoquant ni le bonheur ni l’amour, sont empreints de tristesse. Une fois devenue mère, Gai Qi se confie sur l’ennui qu’elle ressent dans sa vie quotidienne, qu’elle définit pourtant comme plus heureuse qu’auparavant. Mais Gai Qi a réussi quelque chose qui n’est pas donné à tous : un mariage d’amour. Qui, lasse de lutter pour se faire accepter telle qu’elle est, finit par choisir la fuite : elle part reprendre ses études en France, abandonnant le poids des conventions qui l’étouffaient dans son pays natal. Contre toute attente, sa famille soutient sa décision et, pourtant pauvre, lui propose une aide financière. Dans une séquence troublante de sincérité, son père lui avoue qu’elle fait sa fierté. Ses mots résonnent comme une autorisation à enfin vivre pleinement. On ne peut qu’apprécier ces passages, qui nuancent la brutalité des propos que ses proches lui assènent, au début du film. Ils illustrent la complexité des relations familiales et, plus largement, celle des relations humaines, tout en atténuant la dimension relativement manichéenne du documentaire.
Les mal-aimées de la Chine nous présente la manière dont les pressions sociales issues de la perception conservatrice de la place des femmes dans la société suscitent harcèlement, stigmatisations, manipulations, rejets, peurs de l’isolement et tensions familiales. Les trois femmes qui y sont présentées se livrent avec sincérité, nous exposant la manière dont elles choisissent de réagir face à leur injuste marginalisation. Ce documentaire intense et adroit s’érige en véritable hommage aux femmes opprimées qui font entendre leurs voix.
Disponible du 09/06/2020 au 07/09/2020, en replay, sur le site d’Arte.
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