Les Indes Fourbes - La chronique BD

Lorsque deux grands noms de la BD se rencontrent, cela provoque généralement des étincelles. Quand ces étincelles permettent de forger un chef d’œuvre, on se dit que les collaborations ont du bon, et que les deux métiers de scénariste et dessinateur se complètent terriblement. Vous l’aurez compris, Les Indes Fourbes font partie de cette catégorie de BD dorée que l’on ne rencontre que peu, ces bandes dessinées qui ravissent, aussi bien les yeux qu’elles enlèvent l’âme. Dans la pure tradition des romans picaresques, c’est un autre Lazarillo de Tormes qui s’échappe, non pas du XVIe mais bien du XXIe siècle, preuve s’il en fallait que l’imitation des Anciens n’enlève rien au talent, bien au contraire. Alain Ayroles propose en effet une vie pleine, faite de beaucoup de bas et aussi de très haut, n’oubliant jamais l’ironie et la satire, et ajoutant une touche très noire à certains moments clefs qui peut déstabiliser le lecteur. De fait, le côté sympathique du héros est parfois mis à mal par certains défauts et choix, la lâcheté ou l’avarice le montrant voleur, proxénète et surtout traître à bien des égards et des causes.

Alain Ayroles, Juanjo Guarnido / Delcourt

Aux côtés de ce scénariste de talent, le dessin de Guarnido fait merveille. Ambiance d’époque, avec une violence contrebalancée juste ce qu’il faut par des grimaces et des envolées qui ne sont pas sans rappeler les pages de Blacksad, comme un style qui s’imprègnerait désormais parfaitement dans un autre décor, qui conviendrait même pour une adaptation de la Controverse de Valladolid. Et cent-soixante pages aussi léchées, aussi garnies et copieuses que peuvent l’être un album de Guarnido, on se dit que l’on tient entre ses mains ni plus ni moins que l’œuvre d’une vie. Ce zénith graphique se met en effet au service d’un récit qui évoque habilement l’art pictural de Velázquez et l’Histoire des Indes nouvelles, dans toutes leurs splendeurs d’époque.

Alain Ayroles, Juanjo Guarnido / Delcourt

Album géant et travail de titan, les comparaisons manquent pour qualifier ce travail finalement plus proche de l’épopée BD que du roman picaresque, tant son souffle est fort et sa matière, d’essence mythique.