Le 7 novembre 2018
Rosi réalise à son habitude un film-dossier, véritable charge contre le comportement des gradés en temps de guerre ; mais au-delà, c’est une célébration pessimiste de la révolte.
- Réalisateur : Francesco Rosi
- Acteurs : Gian Maria Volonté, Alain Cuny, Daria Nicolodi, Giampiero Albertini, Nino Vingelli, Mark Frechette, Franco Graziosi
- Genre : Drame, Film de guerre
- Nationalité : Italien
- Distributeur : Warner Bros. France
- Editeur vidéo : ESC Éditions
- Durée : 1h41mn
- Box-office : 119 190 entrées France / 47 608 Paris Périphérie
- Titre original : Uomini contro
- Date de sortie : 4 juin 1971
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Résumé : 1916. Sur le front italien, un jeune lieutenant idéaliste convaincu du bien fonde de la guerre, découvre l’absurdité et l’horreur du conflit en participant à l’attaque de l’armée italienne pour reprendre le contrôle de la colline de Montefiore.
Critique : Avec Les sentiers de la gloire de Kubrick et Pour l’exemple de Losey, Les hommes contre forme une manière de trilogie sur la Première Guerre mondiale, la revisitant pour critiquer le rôle d’officiers inhumains. Sans avoir la rigueur mathématique du premier, il rivalise avec ses deux prédécesseurs par sa puissance narrative éclatée, presque chorale, même si trois personnages se démarquent : le général Leone, impitoyable, et deux lieutenants que la révolte emporte peu à peu. Le film est certes un peu démonstratif, mais il rend prégnante l’horreur d’un conflit absurde dans lequel les attaques n’ont aucune chance d’aboutir. D’où une série de mutineries, historiquement exactes, sauvagement réprimées.
De la guerre Rosi ne fait jamais une belle image : il privilégie le flou, le gris, des cadrages décalés, le contre-jour, suggérant une confusion aussi bien morale que physique. De même le montage insiste-t-il sur les chocs et les panoramiques sur des champs de bataille emplis de cadavres ; ainsi le lyrisme du combat ne repose plus que sur des discours creux et emphatiques, tel celui qui s’entend lors d’une visite dans un hôpital surpeuplé.
C’est que pour l’essentiel, dans sa vision engagée, le cinéaste met l’accent sur l’absurdité du commandement : dès le départ, le général Leone, auquel Alain Cuny prête sa raideur, ordonne d’exécuter un éclaireur. Le film développe alors une sorte d’emballement, symbolisé aussi bien par la « décimation » (un homme sur dix tué) que par le peloton, deux motifs récurrents : il s’agit de montrer toujours plus l’exemple, face aux mutineries et aux « lâchetés ». Ainsi toute révolte est-elle brisée, comme le sont les tentatives de désertion. À cet égard la séquence dans laquelle les Autrichiens hurlent aux soldats de repartir pour éviter la boucherie représente au mieux la vision de Rosi, selon laquelle le véritable ennemi, c’est le gradé, mais aussi « les spéculateurs et le gouvernement ». Vision socialiste, explicitée par Gian Maria Volonté dans un discours rageur, mais qui laisse peu d’espoir : le général Leone, dont on annonce la mort, est indestructible (Sassù essaie de le faire tuer par une meurtrière interdite, il se promène debout sans précautions), à l’image d’un pouvoir qui ne cesse d’opprimer. Et si Sassù, d’abord sceptique, reprend le flambeau de la révolte après la mort du lieutenant, son sort étant scellé dans les dernières images.
La vision de Rosi, appuyée par la réalité, est particulièrement sombre. La gloriole des généraux se paie au prix fort, et la séquence hallucinante des « cuirasses Fasina », censées protéger les hommes mais qui n’empêchent pas leur massacre, en est très révélatrice : les discours pompeux ne mènent qu’à une boucherie que le réalisateur montre sans masques. S’il évite le pathos, Les hommes contre n’en est pas moins bouleversant par moments, et sa force vient de la répétition (combats / mutineries / répressions) qui montre un implacable mécanisme destructeur, auquel on ne peut échapper, comme le fait un soldat, que par le suicide : obéissant aux ordres, il va cisailler les barbelés mais reste debout.
L’armée a intenté un procès au film lors de sa sortie : on comprend pourquoi (rappelons que Les sentiers de la gloire a été censuré en France), tant ce brûlot puissant et parfaitement maîtrisé dénonce des comportements stupides et méprisants, des ordres absurdes et meurtriers. On l’avait déjà dit, déjà montré, mais Rosi apporte sa pierre italienne à un édifice international et il le fait à sa manière, didactique et précise.
Les suppléments :
Le seul entretien avec Italo Moscati revient sur les rapports entre Rosi et Visconti, apporte quelques informations importantes sur l’esthétique du cinéaste, le contexte et les choix concernant le film.
L’image :
Pas terrible : des parasites, une définition insuffisante, des fluctuations de luminosité, un grain épais notamment dans les scènes de brouillard. Vu l’importance du film, on peut tolérer une qualité moindre. On peut aussi la regretter.
Le son :
La VO est audible malgré des aigreurs et de rares chuintements. La musique s’en sort mieux, avec, parfois, une belle ampleur orchestrale et de légères saturations. La VF a moins bien vieilli.
– Sortie DVD : le 6 novembre 2018
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