Le 26 octobre 2022
Un grand film politique, à voir ou à revoir malgré une copie défaillante. La mise en scène minutieuse et l’interprétation de haut vol compensent largement.
- Réalisateur : Francesco Rosi
- Acteurs : Lino Ventura, Charles Vanel, Fernando Rey, Max von Sydow, Alain Cuny, Luigi Pistilli, Renato Salvatori, Marcel Bozzuffi, Paolo Bonacelli, Tina Aumont
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Thriller, Politique
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : Les Acacias, Les Artistes Associés
- Editeur vidéo : ESC Éditions
- Durée : 2h00mn
- Reprise: 16 novembre 2022
- Box-office : 1 025 592 entrées France / 392 772 Paris-périphérie
- Titre original : Cadaveri eccellenti
- Date de sortie : 26 mai 1976
- Festival : Festival de Cannes 1976
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Résumé : Une série d’assassinats de magistrats a lieu. L’enquête est confiée à l’inspecteur Rogas qui soupçonne la mafia. Mais il découvre que les hommes au pouvoir utilisent cette affaire à des fins politiques : l’État est compromis avec des extrémistes dans le but de déstabiliser le gouvernement.
Critique : Le jeu « cadavres exquis » a été inventé par les surréalistes : il s’agit d’assembler des syntagmes de manière arbitraire pour former des phrases absurdes. Dans le film, c’est la justice qui est absurde et arbitraire : comme le dit un juge, puisqu’on est en temps de guerre, il faut pratiquer la décimation, au risque, bien réel, de punir des innocents. Quand l’un de ces condamnés injustement se mêle d’assassiner ses bourreaux, et que l’enquête est confiée au « meilleur limier », Rogas, l’affaire se transforme peu à peu, devenant un complot obscur dont personne ne saura le fin mot, mais qui englobe de manière occulte tous les puissants ; même les opposants communistes propageront la vérité officielle, puisque « la vérité n’est pas toujours révolutionnaire ». Le film se clôt sur des images angoissantes, préludes à une guerre civile, sans qu’on comprenne vraiment les enjeux, et encore moins l’identité des responsables. C’est que nous suivons l’action par le truchement de Rogas, constamment dépassé par les événements.
- © Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc
Pour raconter cet enchevêtrement, Rosi choisit la rigueur et la sobriété : ni humour ni musique extra-diégétique ; si Rogas chemine lentement, le film épouse ce tempo en cherchant le factuel froid, au détriment d’une humanité hors-champ : à peine aura-t-on droit à un coup de téléphone qui évoque très vaguement une vie privée. Le cinéaste privilégie la montée d’un suspense étouffant qui ne cède à aucune facilité, magistralement secondé par un Lino Ventura parfait en inspecteur opiniâtre et une foule de seconds rôles prestigieux (Fernando Rey, Marcel Bozzuffi, Charles Vanel, Alain Cuny, Max von Sydow). En progressant l’enquête s’obscurcit et devient le champ d’une paranoïa grandissante : Rogas se sent suivi, dort dans sa voiture et ne rencontre un ami qu’au milieu d’une foule. Et pourtant, rien n’échappe à ses puissants sans visage : même un chien de (faux) aveugle peut cacher des micros.
Rosi utilise savamment des décors choisis, que ce soit les catacombes initiales, avec leur défilé de momies, le luxe des appartements privés ou des édifices publics, comme le développement urbain anarchique. La ville qu’il présente est à l’image d’un pays scindé en deux mondes qui ne se rencontrent pas, celui des manipulés inconscients et celui des manipulateurs ; qu’un Rogas essaie de fouiller dans les coulisses, et un aréopage de haute volée entrave son enquête. Il se retrouve face à des pièces manquantes, à l’image de ces photos auxquelles il manque le visage, les pièces d’un puzzle irréalisable. À partir de là chaque indice est une énigme, chaque pas en avant est une impasse probable : même si Rogas sait que tel juge va être assassiné, même s’il est présent, il ne peut empêcher le meurtre.
- © Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc
Inutile de dire que le constat est particulièrement pessimiste : au-dessus de nos têtes se jouent des parties opaques qui modifient et organisent la vérité, sans même que nous le soupçonnions. Certes, Rosi a réalisé son film pendant les « années de plomb », dans un pays ravagé par le terrorisme et l’instabilité et Cadavres exquis porte l’empreinte d’un cinéma paranoïaque très en vogue dans les années 70. Reste que sa froideur, sa méticulosité et son implacabilité en font, plus qu’un très bon métrage, une œuvre puissante mais dérangeante.
Test vidéo
Les suppléments :
Un seul bonus, mais précieux : l’entretien avec le scénariste Italo Moscati (14mn) reconstitue le contexte du film et précise l’originalité de Rosi, ce « chroniqueur sophistiqué » amateur de zones d’ombre.
L’image :
Les puristes amateurs d’images immaculées passeront leur chemin : dans cette copie non restaurée, les points blancs et les rayures, auxquels il faut ajouter des plans instables, sont constants. Heureusement, les couleurs, bien que légèrement affadies, conservent leur éclat.
Le son :
La version italienne manque de vigueur, les dialogues en semblant éloignés et étouffés, mais la VF est pire, presque désagréable de rugosité.
– Reprise en version restaurée : 16 novembre 2022
– Sortie DVD : le 5 février 2019
- © ESC
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