Une Renault 12 et une vache dans un pré
Le 17 octobre 2010
Deux beaux films inédits en salle de l’argentin Martín Rejtman, au ton bien particulier, entre humour triste et réalisme déglingué.
- Réalisateur : Martín Rejtman
- Acteurs : Valeria Bertuccelli, Gabriel Fernández Capello, Ezequiel Cavia, Cecilia Biagini, Fabian Arenillas
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Argentin
- Editeur vidéo : Épicentre Films Éditions
- Plus d'informations : http://www.epicentrefilms.com/fiche...
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– Durée : 1h25mn (Los guantos magicos)
– Durée : 1h12mn (Rapado)
– Sortie vidéo : le 19 octobre 2010
Deux beaux films inédits en salle de l’argentin Martín Rejtman, au ton bien particulier, entre humour triste et réalisme déglingué.
L’argument :
– Les Gants Magiques
Alejandro, 35 ans, chauffeur d’une Renault 12 délabrée et bruyante se retrouve soudain plongé dans une tourmente économique et sentimentale dont il est à la fois le témoin et l’acteur. Il doit affronter une série de séparations, de cataclysmes climatiques, un enrichissement soudain, des départs et des retours au pays, un appauvrissement brutal, des allers-retours incessants à l’aéroport, une production de films pornographiques, des dépressions et des dépendances à l’alcool et aux comprimés, des déménagements et des changements professionnels..., entre autres. Rien pourtant ne semble le perturber..., rien si ce n’est sa Renault 12.
– Rapado
Lorsque Lucio, un jeune de vingt ans, se fait voler sa mobylette, sa première réaction est de se raser le crâne... Après quelques tentatives échouées,
il parvient à en subtiliser une à son tour et décide de s’enfermer avec dans sa chambre...
Notre avis :
Martín Rejtman, né en 1961, jouit, dans son pays et au delà, d’une réputation considérable comme romancier et comme cinéaste. Considéré comme le précurseur de la dynamique nouvelle vague argentine avec Rapado (1991), il est pourtant moins connu chez nous que ses collègues plus jeunes, Lucrecia Martel, Pablo Trapero ou Diego Lerman. Jusqu’à présent un seul de ses films, Silvia Prieto (1996), a connu une sortie française en salle (en 2004) et en DVD, Los guantos magicos, coproduit par Arte, ayant été diffusé à la télévision.
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Présenté avec succès à Locarno en 1992 et Cóndor de Plata de la critique argentine en 1997, Rapado est le premier long-métrage de Rejtman, Sistema español (1988) étant resté inachevé. Auparavant il avait étudié la mise en scène à New York, travaillé sur des tournages en Argentine ou à Cinecittà et réalisé plusieurs courts-métrages.
Il déclara lui-même avoir fait ce film en réaction contre le cinéma national d’alors trop encombré de dialogues et d’artifices inutiles. Ici, il n’y a rien de superflu : les personnages parlent peu, la narration est délibérément lacunaire, les fondus au noir étant autant de trous qu’aucune sauce musicale, aucun liant ne vient combler.
Ce minimalisme permet au film d’échapper aux pièges de la psychologie et de l’interprétation forcée, laissant aux actes de Lucio et des autres personnages une salubre opacité. Rien de poseur pourtant dans la méthode adoptée, plutôt un regard à bonne distance qui observe avec un étonnement un rien amusé les faits et gestes des uns et des autres : conversations nocturnes au pied d’un monument que nous ne verrons jamais en entier, déambulations dans les rues à quatre heures du matin, tribulations d’un faux billet de cent pesos qui louche, perplexité du père et du fils devant le potage québécois (une soupe aux lentilles) que la mère, revenue du Canada, propose au diner, rencontre fortuite dans une salle de jeu avec le chanteur du groupe Estrellas Rojas dont une cassette se trouvait dans le coffre de la mobylette volée. Autant de saynètes drôles et déroutantes dont rien ne vient souligner le sens.
Car un humour particulier habite le film, basé moins sur l’effet que sur son absence : la mère sort la mobylette de la chambre de son fils pour passer l’aspirateur mais n’a pas l’air surprise de sa présence et ne pose pas de questions.
Dans ce qui est peut-être la plus belle scène du film, Lucio, immobilisé au bord d’un pré par une panne sèche jette le bidon vide en direction d’une vache paissant là. Celle-ci se contente de lever la tête un instant avant de continuer à brouter tranquillement.
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Los guantos magicos, tourné en 2003, est d’une veine un peu différente, proche de celle de Silvia Prieto, tourné entre-temps, où l’héroïne, découvrant qu’une autre portait le même nom qu’elle, finissait par ne plus savoir très bien qui elle était, d’autres homonymes surgissant d’ailleurs au fil de l’intrigue.
Alejandro, le héros (très) ordinaire pas vraiment gâté par la vie des Gants magiques est un cousin de Sylvia. On pourrait qualifier ses aventures de tragicomiques si le terme ne semblait démesuré, tant sont banals les événements qui viennent bouleverser sa vie jusque là à peu près rangée de chauffeur de taxi au volant de sa vieille Renault 12. D’ailleurs lui-même ne semble pas s’alarmer outre-mesure, encaissant les coups du sort avec une apathie résignée.
Les autres, s’ils font semblant, eux, de se battre, ne semblent d’ailleurs pas vraiment y croire non plus et le décalage entre l’énergie qu’ils déploient et le peu de conviction qu’ils affichent est une source de comique déflationniste à la limite de l’absurde.
Les dialogues sont souvent très drôles, les personnages recourant fréquemment au jargon de la psychanalyse de supermarché pour affronter les problèmes du quotidien, ou plutôt les amplifier, voire les créer de toutes pièces. Tous les acteurs excellent à proférer avec un sérieux imperturbable des phrases définitives qui semblent peu adaptées aux situations qu’ils vivent.
Tout cela est empreint d’une espèce d’humour triste très particulier qui n’est pas sans rappeler celui de Quino, et on ne serait pas surpris outre mesure de voir surgir au détour d’un plan, une Mafalda parfaitement chez elle dans l’univers très légèrement déglingué de Martin Rejtman.
Ce film délibérément modeste et sans éclat réussit à intriguer, amuser et même émouvoir sans jamais hausser le ton.
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Le DVD
Epicentre film sort le 19 octobre 2010 un coffret de deux DVDs comprenant ces deux longs-métrages (plus un court). Une excellente initiative qui permettra de mieux connaître un réalisateur attachant dont le rôle fut déterminant dans le renouveau du cinéma argentin.
Les suppléments
Si les galeries photos et la fiche de présentation du réalisateur n’apportent pas grand chose, il faut saluer la présence de deux compléments de choix :
– Un documentaire de 20mn qui interroge, 13 ans et demi après, les acteurs de Rapado et revient sur les lieux de tournage. Pas de révélations fracassantes mais un document sympathique empreint de nostalgie.
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Doli retourne à la maison - Doli vuelve a casa est un beau court-métrage en noir et blanc de 30mn réalisé en 1984 qui annonce par certains côtés Rapado, en plus arty. L’ influence de Jarmush (première manière, celle de Permanent vacation) est sensible.
Image
Le cinéaste privilégiant une image légèrement terne (du moins dans Los guantos magicos) on ne s’attendra pas à être ébloui. Mais la photo est propre et la compression sans défaut notable. Pour Rapado, où le souci de l’esthétique est plus affirmé, la définition est correcte sans plus, mais les très belles couleurs froides du film sont bien restituées.
Son
Un Dolby Digital Stéréo honnête qui garantit un bon confort d’écoute et une immersion convaincante dans l’ambiance porteña. Les légères variations d’intensité dans Rapado sont probablement d’origine et dues aux conditions de tournage. On peut même dire qu’elles participent du charme du film.
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